samedi 24 novembre 2018

P.2018.11.24. Le 26 novembre 2018 à la Sorbonne - lectures-rencontre avec 5 poètes Christian Doumet, Laure Gauthier, Claude Mouchard, Andreas Unterweger et Sanda Voïca. Courts dialogues entre eux et Guillaume Métayer.

Festival Livres en tête, 10-ème édition
lundi 26 novembre 2018
Lectures par les étudiants du collectif Les Livreurs
Les poèmes de Sanda Voïca lus 
par Tania Sanchez Yanez (son propre choix) 
d'Epopopoèmémés et Trajectoire déroutée
Questions aux poètes par Guillaume Métayer 
Les livres des auteurs disponibles en dédicace à la soirée 


détails sur le  Festival : http://festivallivresentete.com/
détails sur Les Livreurs / La Sorbonne sonore : http://festivallivresentete.com/equipe-livres-en-tete/sorbonne-sonore/









Mes poèmes choisis et lus par Tania Sanchez Yanez :

Sélection de poèmes parmi 2 ouvrages :
1.   Epopopoèmémés / Editions Impeccables, 2015
2.   Trajectoire déroutée / Lanskine éditions, 2018

1.   Epopopoèmémés (1665 mots)


Je suis ici

Neuf heures du matin, d’un dimanche sous le déluge : pluie si drue,
que les gouttes, débordées, envoient des pétitions à tout va, à l’aide du vent :
laissez-nous reprendre notre souffle.
Samuel à côté de moi, ouvre un œil, littéralement, et me demande : « Qu’est-ce que tu fais ? »
Je lui réponds : « Je suis ici. » Et je sais que je suis ici, sans trop de mots.
Mais s’il fallait l’expliquer ? Si j’avais une interrogation, ou un exposé à faire à partir de ma présence ici – que dirais-je de plus ?
La lumière verte de l’éolienne, au loin, palpite à peine : la pluie plus dense que le brouillard, il y a une semaine.
Je prie sans prier ; envie d’aller dans une chapelle ; sous le soleil.
La seconde d’après avoir écrit ceci, je vois par la fenêtre la chapelle du moment :
mon jardin et ses alentours, abrités par la pluie, son épaisseur lui faisant un toit mouvant.
Ce qui me paraissait le déluge, devint ce qui sauve.
La pluie sous toutes ses… gouttes a du bien. Le sapin au coin du jardin et le tulipier près de la maison
font les deux piques d’une tente-chapelle – où le simple fait d’y être, en se le disant : « Je suis ici »,
constitue ma prière.
(…)

● (…)

On a le droit d’être mou

Les délices de la mollesse je les sens ce soir aux bras, aux fesses,
Dans le cou et dans les doigts :

(…)
                  
La mollesse me botte.
La mollesse me cuisse.
La mollesse me charme.
Faisandée par la mollesse du jour.
Le mou me molle.
Se molletonner aux choses.

Mollasse mais jamais lasse.
Moi en plus complète – pas encore Dieu, mais une petite déesse.
Remplie de ma cuisse blondasse
encore désirante d’y faire entrer mon homme.
L’énergie d’une molle n’est pas une énergie de substitution mais une de constitution :
elle remplit mon corps et mes jours – travaux nouveaux.
Pour une nouvelle Constitution, aussi – la mollesse de l’homme.
(…)

L’éolienne, depuis des mois, au loin, à la même vitesse : molle.
Eole freiné dans ses élans par un moteur.
Et moi : quel moteur me molle ?

Ma mollesse est vive et ma vitesse molle :
Molle qui peut.

● (…)

Je suis fripée de bonne heure et me couche tard

Je suis fripée de bonne heure et couchée très tard hier soir.
Très fatiguée, je regarde le ciel très bleu – l’air si pur qu’il me laisse voir deux amoureux collés, côte à côte, sans s’embrasser, de la transparence de l’air, en plus consistants.
Je regarde le ciel, l’air jusqu’à lui très pur : deux gros oiseaux en vol ont le ventre brillant, ensoleillé par l’astre à l’envers.
Je suis très fatiguée, le ciel se moutonne après le passage croisé de plusieurs avions.
Je sens le bonheur soudainement – sans d’autres raisons que ma fatigue, le ciel pur et ensuite souillé par les nuages artificiels, par les oiseaux ensoleillés par en-dessous et par le couple d’air d’amoureux, presque gélatineux, dans l’air.
 Je suis fripée de bonne heure et me couche tard,
 Je suis très fatiguée et d’un coup heureuse.
Je vous dis des choses d’hier, d’avant-hier même. Aujourd’hui, le souvenir tranquille, après le bonheur transperçant. Me traversant jusqu’à l’évanouissement.




2.   Trajectoire déroutée (2180mots)


C’est quoi une fenêtre ?
Mon squelette récent.

(…)


Je cherche l’insecte
dans les mottes de terre
que je retourne dans mon jardin.
La fille n’est plus ici

n’est plus aussi souvent dans mes rêves n’est pas assez dans mes lignes.
Elle s’est réfugiée dans cet insecte qui traverse les mottes pendant que je jardine. Je l’ai à peine vu hier
dans la terre bien noire
et aérée.
Je recherche aujourd’hui
l’insecte dans la terre :
depuis hier,
depuis deux ans,
depuis sa naissance.

Je n’ai pas perdu l’espoir
de la revoir passer –
demain je vais retourner la terre
pour les plantations d’hiver.


Le temps
fait gonfler les feuilles
les sèche
augmente leur épaisseur.
Leur trépas est glorieux
quoique anonyme.
Le temps rétrécit ma peau
la sèche
diminue son épaisseur
ou l’augmente
selon les jours.
Ma survie est anonyme
quoique glorieuse.

Le souffle de la feuille
et celui de ma peau
font un.


Mon cœur alourdi
sort de mon corps,
coule vers la terre,
devient un pis
et il nourrit
de ses gouttes immenses

couleur bleu-ciel
– ou bien royal ? –
ma fille enterrée.


Dans la nasse du jour
je jette une nouvelle nasse
et j’y retrouve
les nasses des autres jours.
Dans chacune il y a
encore des nasses –
celles des jours anciens.

A la pêche,
je n’attrape que des nasses.


La jouissance de chaque jour
devenue point noir dans un miroir d’or. Des peupliers à droite et à gauche descendent asymptotiquement vers une racine commune.

Le soleil roule
sur la rue étroite, la nuit,
à             la poursuite des passants – qu’il ne voit pas encore.
Le soleil à la portée du moindre ivrogne ou fille de rue
– rejetons de la soirée –.
Mais il guettait surtout le passant qui ne soit pas que faux ou vrai que petit ou grand
mais tout à la fois.
Le soleil n’est plus bien
dans sa totalité.
Il essaye les nuits :
y rencontrer
le premier homme sorti
d’une fête sans conséquences.



Il n’y a plus qu’une saison :
celle de son absence.
Il n’y a plus qu’une plante :

le gui fleuri
couvrant le sol et remplissant l’air.
Il n’y a plus qu’un rythme :
de la marche sans jambes.
Il n’y a plus qu’un honneur :
celui de la mort
surgissant sous les doigts
finissant la toile.
Il n’y a plus qu’un pic,
pour la même escalade :
celle par le versant ouest
mais d’où le soleil s’absente
et que mon cœur chauffe à blanc.

Son absence transforme mon corps en baudruche géante errante.


J’ai vu, j’ai trouvé, j’ai compris
une chose
si claire et éclairante
mais si vite partie
que je ne puis dire
que ses ailes très longues
en vol très calme,
sans pouvoir identifier le corps.


Un chaudron fume :
tout autour de ses parois extérieures jaillissent des brins scintillants : la journée inutile lâche
ses chevaux, enfin.
Le chaudron refroidit brusquement se plie et devient
le dos d’un cheval marron
avançant vers le soleil.

Mon squelette en chaux vive
descend vers vous…

Le serpent que je n’ai jamais écrasé
Transformé en bande rigide d’or
Traverse la route derrière moi.

La chaux s’évapore, vole,

Nuage de poussière.


Me voilà.