dimanche 7 août 2022

P.2022.08.07. Sanda Voïca - "Les nuages caressent la terre" - Note de lecture par Claude Vercey - revue Décharge - I.D. 998 - publiée le 7 août 2022

 Claude Vercey a lu "Les nuages caressent la terre" 

- et il l'a très bien... situé (chronologiquement)

Une lecture "associée" aussi au livre de Marie Alloy :

 dans I.D. n° 998 

revue "Décharge"

publiée le 7 août 2022 !

 https://www.dechargelarevue.com/I-D-no-998-Des-voix-endeuillees.html

 

 
 




I.D n° 998 : Des voix endeuillées

publié le 7 août 2022 , par Claude Vercey dans Accueil> Les I.D

 

La jeune fille et la mort, souvenons-nous : au printemps 2018, Sanda Voïca publiait aux éditions Lanskine  : Trajectoire déroutée, tombeau élevé par une mère à sa fille disparue, puisque tout le long du livre était ainsi désignée Clara Pop-Dudouit (1994 – 2015). L’I.D n° 760, dès juillet de la même année, en rendait compte.

Page intérieure de "Les nuages
caressent la terre", de Sanda Voïca.


Les nuages caressent la terre, que l’auteure publie présentement aux éditions Les Lieux-dits, semblent dans un premier temps prolonger ce temps de deuil, mais les poèmes, plus éperdus que dans l’opus précédent, plus cris qu’écrits - pour essayer de rendre grossièrement le ressenti d’un lecteur qui se veut attentif au parcours des auteurs - étonnent et désorientent. Il est vrai qu’en l’occurrence, l’appréciation critique, avec la prise de distance qu’elle impose, son côté raisonnable et tempéré, paraît on ne peut plus déplacée au regard de cet océan de douleurs maternelles et de déraison, en devient quasi inaudible.

Au moins, prendre conscience que les poèmes proposés dans ce nouveau livre sont de fait antérieurs à ceux qui composent Trajectoire déroutée, ont été écrits en 2015 – 2016 comme il est justement indiqué ; soit, au lendemain de la mort de Clara, dans une sorte de folie panique qui alors saisit la mère et poète, la laisse échevelée : corps et âme, submergée par l’émotion :

Tu as tellement souffert, que tu es devenue une sainte : l’eau dans laquelle j’ai mis la rose blanche que Samuel m’a offert en ton nom, ce 26 mars, pour mon anniversaire, est toujours intacte. L’eau transparente, pure, et la rose, même si défraîchie, toujours blanche, trois mois après. (…), quand l’autre, la rose de Samuel, avait vite fané et l’eau devenue trouble et malodorante, après quelques jours seulement.
Ma sainte fille, Sainte Clara, c’est toi la vraie Sainte Clara.
Clarutza mamii
Tu me manques tellement.

Autour de la voix et des mots de la mater dolorosa, se sont rassemblés dans les pages de l’ouvrage une dizaine d’artistes pour la soutenir, l’accompagner de leur présence, à travers peintures et dessins, parmi lesquels une œuvre de Clara Pop-Dudouit.

Cet effort pour à la fois exprimer et dépasser la douleur, préserver la mémoire de la disparue, m’a ramené à un autre livre de deuil, lu quelque temps auparavant et paru par coïncidence aux mêmes éditions des Lieux-dits : de Marie Alloy, Ciel de pierre. J’aimerais associer, si brièvement que ce soit, ces deux livres.

C’est le frère disparu qu’évoque en 27 longs poèmes en vers non-mesurés, d’un lyrisme parfois exalté, sur une centaine de pages, Marie Alloy, peintre et graveur comme on sait, et éditrice (au Silence qui roule), et poète.

Oh que les jours sont étranges
en ton absence
reviennent les joies d’enfance
les papillons et les poissons
les blés les bleuets les pavots
reviennent les petites plumes de geai
pour viatique

Ce qui frappe dans ces poèmes de Ciel de pierre, c’est l’étrange mais irrésistible sérénité, une immense paix, qui peu à peu gagne les propos de Marie Alloy, persuadée qu’Enclos où le jour s’est arrêté / quelque chose se poursuit, l’éprouvant au bout du compte à travers l’expérience de la peinture

Ce que tu éprouves tu l’écris
sur la toile avec les couleurs intarissables
de ce qui résiste à l’immuable perte

et assurant dès lors :

Peindre c’est toujours rejoindre
l’autre rive

Ainsi se construit, par l’art et sa promesse d’éternité, comme autour des centrales nucléaires qui ont explosé, la sur-construction nue évoquée par Sanda Voïca, aux fins espérées de préserver la mémoire.


Repères  : Sanda Voïca : Les nuages caressent la terre. Poèmes accompagnés des créations de Véronique Sablers, Philippe Boutibonnes, Liviu Soptelea, Danièle Massu-Marie, Sylvie Durbec, Clara Pop-Dudouit, Samuel Dudouit, Ghislaine Lejard, Maurice Marie, Jean-Pierre Stevens, Caroline François-Rubino, Sanda Voïca. Postface : Germain Roesz. Editions Les Lieux-Dits (Zone d’art – 2 rue du Rhin Napoléon – 67000 Strasbourg). 98 p. 18€.

Aux mêmes éditions : Marie Alloy : Ciel de pierre. 98 p. 15€.
Je renvoie à Décharge
186 où Marie Alloy est très présente en tant qu’artiste à laquelle ont été confiées la couverture et les illustrations intérieures (gravures et monotypes) et en tant que poète avec six poèmes inédits : Quelques aubes en hiver.

 

lundi 1 août 2022

P.2022.08.01. Sanda Voïca, "Les nuages caressent la terre" : note de lecture par Christophe Esnault, sur Poezibao - publiée le 1 août 2022

 Note lue au bord des larmes - jusqu'avant la dernière phrase, 

qui m'a fait éclater de rire !

 Tout Christophe Esnault dans cette note de lecture : Autoportrait avec mes textes...

 

et aussi envie de dire : 

"Lisez, lisez les notes de Christophe Esnault, quelque chose va sûrement rester ! " 

 

https://poezibao.typepad.com/poezibao/2022/08/note-de-lecture-sanda-vo%C3%AFca-les-nuages-caressent-la-terre-par-christophe-esnault.html 

 



 



 

Ou bien : 

Comment prendre soin des morts ?

 

Tant ont écrit sur le deuil. On ne va pas lister poètes et littérateurs qui ont eu l’urgence d’écrire après une disparition, mais je pense à ce poème :
mais nous disons quoi à nos morts
nous disons quoi à nos morts
a-t-on écrit à qui il fallait
- et fallait-il
Aux Aresquiers
d’Éric Sautou, paru chez Unes en 2022. 

Sanda Voïca  les nuages caressent la terreLe texte de Sanda Voïca m’invite à une grande sobriété pour poser le faisceau de ma lampe de poche sur ce livre qui évoque la mort de sa fille Clara.

Se faire portraiturer par le néant.
Portrait avec l’absence de Clara.

Après deux lectures, et dès la première, je sais, ce qui défendra le mieux ce texte, c’est le texte lui-même. Aimerais rester muet, seulement généreux, vous en donner de larges extraits, un déroulé fleuve, que vous auriez imprimé et lu au calme, loin d’un écran allumé.
Tu traverses, ma fille, le bord du fossé

En guise de vers de terre ou d’ombres –

Le rien visible et multiplié

Vie sans contour connu

mais familier à mon cœur tendu.

« Des larmes et des saints », disait Emil Cioran

que tu n’as jamais eu le temps de lire.

Qui a dit saints ?

Vous avez dit peut-être sainte ?

Mais c’est elle, Clara, qui l’est devenue !

Une preuve récente ?

L’eau dans le vase où j’ai mis la rose blanche –

celle que Samuel m’a aussi offerte le 26 mars,

à côté d’une autre, rouge,

pour mon anniversaire,

en son nom, celui de Clara –

est toujours fraîche, limpide…

des mois après,

quand l’eau de l’autre rose, la rouge,

celle offerte en son nom par Samuel,

a vite pourri, croupi…

Eaux troubles et malodorantes, les miennes

quand la tienne, ma fille,

est toujours comme au premier jour.

Eau bénite ! Toi, la sainte.

La sainte Clara          

Tu l’es devenue dès la semaine d’avant ta mort

Et tu le resteras toujours

Sainte Clara. Ma fille.

C’est toi… Clãrutza. La sainte Clãrutza.

 

 


Je lis Sanda avec sa voix (en français et en roumain), celle que j’ai entendue lors de sa lecture au Festival Et Dire et Ouïssance en Brocéliande. C’est une chance et ça modifie la rencontre du texte. Il faudrait collecter les voix des poètes, ça aide à les lire, à mieux vivre leurs textes. À savoir les entendre.

Je ne veux plus parler que de l’amour qui n’aura plus jamais de corps […]
[…] encore et encore – pour garder le vide pour ma fille,
intact.

Ce livre, texte, ces créations (douze artistes), le contact chaleureux du papier choisi (et la composition graphique), répondent parfaitement à une question qui concerne chacun et chacune : Comment prendre soin des morts ? une question qui aura sans doute taraudé ceux et celles touchées par la disparition d’un proche. Ce livre répond à cette question et mieux que ne le saurait un texte théorique. Même l’objet-livre est soigné.

Tout ce qu’elle touchait se transformait en miel.

Non : en or.

On nous dira hâtivement qu’on ne peut plus rien pour les morts et qu’il faut prendre soin des vivants. J’ai envie d’aimer les vivants qui tiendront ce livre à la main.

Christophe Esnault

Sanda Voïca, Les nuages caressent la terre, Les Lieux-Dits,  Collection Les parallèles croisées, 2022, 12 illustrations, 95 pages, 18€
Créations : Véronique Sablery, Philippe Boutibonnes, Liviu
Șoptelea, Daniè
le Massu-Marie, Sylvie Durbec, Clara Pop-Dudouit, Ghislaine Lejard, Maurice Marie, Jean-Pierre Stevens, Caroline François-Rubino, Samuel Dudouit, Sanda Voïca