Note lue au bord des larmes - jusqu'avant la dernière phrase,
qui m'a fait éclater de rire !
Tout Christophe Esnault dans cette note de lecture : Autoportrait avec mes textes...
et aussi envie de dire :
"Lisez, lisez les notes de Christophe Esnault, quelque chose va sûrement rester ! "
Ou bien :
Comment prendre soin des morts ?
Tant ont écrit sur le deuil. On ne va pas lister
poètes et littérateurs qui ont eu l’urgence d’écrire après une disparition,
mais je pense à ce poème :
mais nous disons quoi à nos morts
nous disons quoi à nos morts
a-t-on écrit à qui il fallait
- et fallait-il
Aux Aresquiers d’Éric Sautou,
paru chez Unes en 2022.
Le texte de Sanda Voïca m’invite à une grande sobriété
pour poser le faisceau de ma lampe de poche sur ce livre qui évoque la mort de
sa fille Clara.
Se faire portraiturer par le néant.
Portrait avec l’absence de Clara.
Après deux lectures, et dès la première, je sais, ce qui défendra le mieux ce
texte, c’est le texte lui-même. Aimerais rester muet, seulement généreux, vous
en donner de larges extraits, un déroulé fleuve, que vous auriez imprimé et lu
au calme, loin d’un écran allumé.
Tu traverses, ma fille, le bord du fossé
En guise de vers de terre ou d’ombres –
Le rien visible et multiplié
Vie sans contour connu
mais familier à mon cœur tendu.
« Des larmes et des saints », disait Emil Cioran
que tu n’as jamais eu le temps de lire.
Qui a dit saints ?
Vous avez dit peut-être sainte ?
Mais c’est elle, Clara, qui l’est devenue !
Une preuve récente ?
L’eau dans le vase où j’ai mis la rose blanche –
celle que Samuel m’a aussi offerte le 26 mars,
à côté d’une autre, rouge,
pour mon anniversaire,
en son nom, celui de Clara –
est toujours fraîche, limpide…
des mois après,
quand l’eau de l’autre rose, la rouge,
celle offerte en son nom par Samuel,
a vite pourri, croupi…
Eaux troubles et malodorantes, les miennes
quand la tienne, ma fille,
est toujours comme au premier jour.
Eau bénite ! Toi, la sainte.
La sainte Clara
Tu l’es devenue dès la semaine d’avant ta mort
Et tu le resteras toujours
Sainte Clara. Ma fille.
C’est toi… Clãrutza. La sainte Clãrutza.
Je lis Sanda avec sa voix (en français et en roumain), celle que j’ai entendue
lors de sa lecture au Festival Et Dire et Ouïssance en Brocéliande. C’est une
chance et ça modifie la rencontre du texte. Il faudrait collecter les voix des
poètes, ça aide à les lire, à mieux vivre leurs textes. À savoir les entendre.
Je ne veux plus parler que de l’amour qui
n’aura plus jamais de corps […]
[…] encore et encore – pour garder le vide pour
ma fille, intact.
Ce livre, texte, ces créations (douze artistes), le
contact chaleureux du papier choisi (et la composition graphique), répondent
parfaitement à une question qui concerne chacun et chacune : Comment
prendre soin des morts ? une question qui aura sans doute taraudé ceux et
celles touchées par la disparition d’un proche. Ce livre répond à cette
question et mieux que ne le saurait un texte théorique. Même l’objet-livre est
soigné.
Tout ce qu’elle touchait se transformait en miel.
Non : en or.
On nous dira hâtivement qu’on ne peut plus rien pour
les morts et qu’il faut prendre soin des vivants. J’ai envie d’aimer les
vivants qui tiendront ce livre à la main.
Christophe Esnault
Sanda Voïca, Les nuages caressent la terre, Les
Lieux-Dits, Collection Les parallèles croisées, 2022, 12 illustrations,
95 pages, 18€
Créations : Véronique Sablery, Philippe Boutibonnes, Liviu Șoptelea, Danièle Massu-Marie,
Sylvie Durbec, Clara Pop-Dudouit, Ghislaine Lejard, Maurice Marie, Jean-Pierre
Stevens, Caroline François-Rubino, Samuel Dudouit, Sanda Voïca