mercredi 1 avril 2020

P.2020.04.01. "Mes maisons foncières" - poème de Sanda Voïca publié le 1 avril 2020 par le Collectif Pou - rubrique "Les poèmes du confinement".

Et toujours dans la série : Qui vit, publie.
Non, ce n'est pas un poisson d'avril : 
un poème récent 
publié par le Collectif Pou !
après avoir temporisé ma réponse (vu les... con-textes !)
  j'ai... cédé 
à la demande 
(et non pas à la commande)
 même à l'insistance
d'un certain Guillaume Marie 
de lui envoyer un poème, écrit ces temps-ci,
 pour leur rubrique récente
"Les poèmes du confinement"
(quand j'abhorre ce mot)
de leur Collectif Pou.

Publié finalement 
pour "partager"
la sidération
qui est le noyau de ce texte

et qui a été remarquée, malgré sa... jeunesse
 par ce premier lecteur, Guillaume Marie :
"il est vraiment super ce poème, grand merci de nous l'avoir confié"

Et publié aussi pour une raison 
qui doit rester, pour l'instant, secrète !





et le lien vers le site : 

et le poème ici-même :


Mes maisons foncières



10 h 50’-11 h 05' de chaque jour, après le 21 mars 2020.



Dans la maison.

Maison avec jardin.

Le mois de mars en inattendu essor

car des expansions simultanées 

et inextricables ont lieu :

celle des floraisons habituelles

et celle d’un virus nouveau.

Je suis comme d’habitude et comme jamais

Soit dans la maison,

soit à la fenêtre

soit dans le jardin.

Comme d’habitude :

j’y vis et écris.

Comme jamais :

je me pose pour la première fois cette question :

« Quelles maisons dans ma maison ? »

Celle des poupées,

pour toujours abandonnée par ma fille.

Et celle de Henrik Ibsen – son livre,

Une maison de poupée, à portée, sur une étagère.

La maison de mes parents, aussi :

couvertures et tapis qui s’y trouvaient

les voilà aussi dans la mienne.

Et quel salon ?

Celui d’une sorte d’apparition

dans ma jeunesse :

En marchant dans la rue 

je l’avais vu d’un coup,

suspendu dans l’air :

grand, large, tout blanc.

Je l’ai adoré, ce salon de rêve :

Que de lumière !

Des années plus tard, en m’installant

dans la maison où vivre avec ma famille

 – mari et fille –

j’ai compris : sans l’avoir cherché

j’avais, IDENTIQUE,

le salon d’autrefois, vu seulement par moi  !

L’oubli qui n’oublie pas

avait fait les choses.

Salon de mon désir

dans la maison de tous mes désirs,

y compris celui, foncier, de l’écrire.

Ecrire le désir. Ecrire la maison.

Les deux inextricables.

L’écriture : toujours sur le seuil du regard.



Mais aujourd’hui,

depuis la fenêtre de ma chambre

j’ai vu la beauté obscène

des couronnes de fleurs en bouquets

de mon cerisier.

Pourquoi obscène ?

Je me le demande encore.

Je n’avais jamais cru associer un jour

le mot « obscène » au mot « beauté ».

Se réjouir ou être heureux sur fond de pandémie

devient-il… obscène ?

En voilà une des actions insidieuses du coronavirus.

Pas sa victoire, même si je risque,

le printemps prochain

en regardant les nouvelles couronnes de fleurs

de mon cerisier ,

de penser aussi à la couronne du virus de ces jours-ci.

Mais ce ne sera que pour mieux me réjouir de leur floraison.

Épidémie passée et du passé, déjà :

la beauté du reste de la journée me saisit

et je ne garde plus que son éblouissement.



J’ai fixé ici un quart d’heure d’une réclusion

Temps à la fois heureux et douloureux

où les nouvelles du monde

ont profondément troublé

la vue exquise vers mon jardin au cerisier en fleurs.

Faille à jamais

vue depuis ma chambre,

de la maison où je suis toujours à ma place

même si foncièrement ailleurs.





Sanda Voïca