Virginie Hervieu,
artiste qui sera exposée à partir du dimanche, 2 avril 2023 à Orval, au Bouillons Kub,
et en même temps, avec d'autres créations,
dans son propre espace d'expositions (galerie),
Le Poirier qui penche, à Coutances,
m'a proposé, à ma plus grande surprise, d'écrire un texte sur ses expositions -
quand elle savait que j'écris, oui, et que je ne suis pas... critique d'art !
Et surtout qu'avant l'automne 2022 je ne connaissais pas encore son nom,
(elle non plus le mien)
et dont je n'avais jamais vu (en vrai) les créations avant le début de ce mars 2023,
à l'occasion de deux-trois rencontres
(chez elle, dans son atelier et au Bouillons Kub, en train de monter sa "Collection").
Voilà le résultat, à lire / voir sur le Calaméo,
Et le texte directement ici :
2023.03.29. Sanda Voïca sur Virginie Hervieu
Étude / Brouillon d’une étude
Celle qui réinvente l’amour chaque jour
« Il faut ne pas trop le paraître en l’étant ; savoir tout – du cœur, //
après mille études ferventes. »
Paul Fort
« L’amour est à réinventer, on le sait. », a écrit Arthur Rimbaud, dans Une saison en enfer.
Qui pourrait se vanter d’avoir réussi ?
En vérité je vous dis : Virginie Hervieu y est parvenu.
De sa manière discrète et violente à la fois !
Comme sur ce mur blanc, du Bouillons Kub, à Orval, que l’artiste a couvert de ses objets de collection – et il faut les prendre dans ce sens, aussi : d’objets rares et recherchés. Objets, de couleurs variés, que l’artiste a produits, travaillés, créés, changés, altérés, fixés, torsionnés, tordus, fondus, lissés, tissés, chiffonnés, coupés, empilés, et que sais-je encore, au fil du temps. Sa collection. Son trésor offert à nos regards maintenant.
J’ai pu voir ce mur en cours d’installation, couvert au trois quarts, environ, et la première impression a été d’un ciel étoilé en plein jour. Un ciel où chaque objet était un astre « fait main » ou « fait maison », l’univers à notre portée. Impressionnée jusqu’au vertige, je me suis retrouvée, donc, au-delà du mur : les objets-créations étaient là, concrets, on pouvait les atteindre, les toucher, les voir de très près, mais… le mur avait été aboli. Annihilé. J’étais dans ses interstices, dans des failles qui m’avaient conduite dans l’univers même ! Je planais tout en étant accrochée, agrippée à chacun des astres collés sur le mur !
Paradoxale situation – où une œuvre d’art a réussi à me mettre.
La terre avait été absorbée dans le ciel, les deux enfin réunis. Ce mur était un horizon qui happait le regardeur jusqu’au… cosmos !
Et pourquoi cette conviction, aussi : que seulement une femme – et là, il faudrait dire c’est quoi une femme, c’est quoi un homme, d’une part ; et surtout, pourquoi faire une distinction de genre pour un artiste, quand j’ai toujours pensé qu’il ne devrait pas y en avoir. Et l’artiste m’a partagé aussi cette différence essentielle, qu’elle a ressentie, sur le tard, de ses gestes de créatrice en tant… que femme !
Pour elle – les gestes des métiers de femme (tisser, coudre). Mais pour un écrivain ? En quoi une femme est autrement artiste qu’un homme ?
Une réponse possible pour dire cette différence entre hommes et femmes serait celle de Christian Bobin, dans Le Très-Bas, réponse qui n’est pas aussi la mienne (ou du moins que partiellement), mais qui pourrait (me) suffire aujourd’hui, en attendant de trouver, même si je ne la cherche pas vraiment la mienne.
Il écrit donc ceci : « La différence entre les hommes et les femmes n’est pas une différence des sexes mais de places. L’homme c’est celui qui se tient à sa place d’homme, qui s’y tient avec lourdeur, avec sérieux, bien au chaud dans sa peur. La femme c’est celle qui ne tient dans aucune place, pas même la sienne, toujours disparue dans l’amour qu’elle appelle, qu’elle appelle, qu’elle appelle. Cette différence serait désespérante si elle ne pouvait être franchie à tout instant. […] Il est toujours possible pour un homme de rejoindre le camp des femmes, le rire de Dieu. ».
Et voilà que devant le mur – que dis-je : au-delà du mur, car aboli, à vrai dire, par la foultitude d’objets posés dessus, comme s’ils avaient opéré sur lui, en lui avec les mêmes gestes / actions que l’artiste avait agi sur eux : percé, fondu, tordu, etc. – et voilà que devant ce mur-ciel-cosmos j’ai pensé que seulement une femme aurait pu le réaliser. Pourquoi donc ?
Qu’est-ce que Virginie Hervieu a pu y mettre et qu’un homme n’aurait pas pu ? Je me demande encore.
Mais je sais qu’un souffle plus grand que le sien l’a traversée, en travaillant, et maintenant nous traverse à notre tour.
Et cette suggestion (idée / proposition) de visiter cette installation, du Bouillons Kub, donc, aussi pendant la nuit. Ou du moins dans l’obscurité : en interdisant à la lumière de pénétrer dans le (presque) cube du lieu d’exposition. Je suis sûre que les objets-créations brilleront d’eux-mêmes, de cette lumière que l’artiste ne peut pas s’empêcher de répandre, jour et nuit.
Avec ce mur, elle a créé un nouveau ciel – un qui est plein d’étoiles visibles autant le jour que la nuit. Elle a aboli… le cycle même de rotation de la Terre. Elle a arrêté… le Temps – du moins durant cette exposition – pour nous faire LE VOIR, LE TEMPS : comprendre qu’il n’existe pas autrement qu’à travers nous et ce que nous faisons / aimons. Banalité ? Mais il ne faut pas arrêter de l’incarner.
Ce mur nous fait ce que l’artiste a fait avec chacune de ses créations – objets séparés et mur entier : il nous attaque, nous prend à la gorge, nous tord, nous lessive, nous lâche pour nous faire couler dans le calme et la joie. Quoique présents (le calme et la joie) dès le premier instant, ou de toujours. Nous devenons fluides et… heureux.
Avoir vu aussi ces « Laines », récentes : sinueuses, plates, tordues, labyrinthiques, des nasses ou des mini-tapis (plans), en boule ou longilignes, en barres, même.
Objets / matériaux, elles aussi : faits et refaits, créés et recréés.
S’emparer, prendre tantôt les choses douces, molles, en couleurs – comme les fils de laine – et les engainer, enfermer, cacher, rigidifier, en premier temps, pour les modeler, manier, tordre, brusquer, jusqu’à retrouver leur douceur, en deuxième temps.
Tantôt des choses dures, coupantes, tel un bout de pierre avec des « dents », des crocs même, mais pour ne pas le laisser tout seul, s’emparer de nous, l’accompagner de deux autres pierres, deux tangues, celles-ci bien lisses, douces.
Une chose et son contraire, tendresse et violence qui ne font qu’un.
Interchangeables, Indémêlables. Juxtaposition et coïncidence.
Plusieurs chemins, voire façons de faire nous y conduisent :
Le brut, changé par l’artiste même et / ou par le temps. L’inchangé : matériau travaillé par l’artiste et par le temps et qui ont, finalement, l’air figé. Pour toujours ?
S’imprégner de ses laines. Noires, au premier abord – mais qui incorporent bien des couleurs, vives. L’arc en ciel non pas DANS LE BLANC (la lumière) mais DANS LE NOIR CRÉÉ-INCRÉÉ de Virginie Hervieu. Créé – on pense le voir, il est devant nous. Incréé – non, ce n’est qu’un noir de rêve, qui vient d’ailleurs – d’un endroit qui nous échappera toujours. Ici (dans son propre espace d’exposition, à Coutances) – juste un écho, une réminiscence de cet ailleurs.
Et on le sait : le noir est une couleur… Pensée aussi à l’outre-noir de Joë Bousquet – celui apparu dans son texte L’Œuvre de la Nuit. (À expliciter ici – ou pas ! – son outre-noir, « repris » d’ailleurs par Pierre Soulages.)
Y intégrer aussi ce que le noir est pour Annie Le Brun : « la couleur d’un infini qui est autant en l’homme qu’en dehors de lui ».
Rapprochement surtout des créations de Virginie Hervieu de ce que Gilles Deleuze écrit dans Le Pli : « Il faut donc dire qu'un corps a un degré de dureté aussi bien que de fluidité, – flou spontané – flot effervescent quoique calme, mou – d’une mollesse virile, ou qu'il est essentiellement élastique, la force élastique des corps étant l'expression de la force compressive active qui s'exerce sur la matière. À une certaine vitesse du bateau, l'onde devient aussi dure que le marbre. ».
Avoir regardé aussi :
Les accumulations / agglomérations, voire… soustractions de tangues, sur des fils…
La juxtaposition de deux grandes tangues et d’un objet trouvé, composite (du plastique et du sable).
Les sols (des expositions passées) et ce mur maintenant, au Bouillons Kub, d’objets hétéroclites.
Les tableaux récents, de 2023, au charbon : noirs, oui – et qui vibrent, tremblement de l’être de celle qui les a « modelés », et non pas peint. Le peu de couleur qu’on peut y voir est son substrat et même, j’ose dire, l’essentiel : sans lui, le noir serait « mort ».
J’ai pris ces photos lors de quelques rencontres avec l’artiste
J’ai eu cette idée (révélation), en repensant et en re-regardant ses créations : l’induction serait le nom (possible), généralisant, de ses techniques variées.
Induction : nous induire dans la vie authentique, celle qui ne finit pas – ou qui n’arrête pas de finir.
Finir sans finir. Induits par ce que Virginie Hervieu nous fait voir / sentir, nous ne serons jamais dans des conclusions, ou des certitudes. Toujours, surtout, dans l’ouvert, le toujours malléable, dans les possibilités sans fins. Les métamorphoses incessantes : de l’être et des « choses ».
Induits – en induction ! – nous viv(r)ons heureux.
Heureux de quoi ? De désirer, tout simplement : (le) rien (sans objet précis) ou bien… désirer (le) tout (l’univers ?). Deux modes du désir inséparables, d’ailleurs, chez Virginie Hervieu.
Entrer dans son œuvre, c’est entrer en nous-même ! Et nous sommes… vertigineux. Et on aime le vertige. L’ivresse. On veut la retrouver : « Enivrez-vous… » disait Baudelaire. En l’occurrence, avec les œuvres de Virginie Hervieu.
Une sorte de dialectique – à la fois bien personnelle, nuancée et, comme déjà dit un peu avant, en métamorphose. Trois mouvements qui ne s’arrêtent pas, changés et inchangés :
1) s’emparer d’une « chose » : un matériau, objet, etc. ; le forcer à être là, devant elle, le fixer, le tendre et sous-tendre (avec ses yeux, ses mains, son corps) ;
2) arriver à son contraire : l’annihiler, le changer dans son essence même (si possible) – et de préférence à mains nues ;
3) le laisser enfin vivre de sa propre vie, même si une des vies de l’artiste y est déjà ! Respirer, (re)trouver un rythme à soi, qui épousera (ouvertement ou secrètement) le rythme des vies (passées et à venir) de l’artiste, car elle en a certainement plusieurs. Mille et trois. Don Juan féminin.
Somme toute, ses créations recouvrent le jeu – dialectique toujours – du caché-dévoilé-recaché, mais toujours repris. Encore et encore. Et autrement.
Le tout va épouser notre vie, une fois l’avoir croisé : senti / vu / regardé / ignoré…
Sans jamais se départir non plus de la vie de l’artiste : ses créations, ses expositions, selon son aveu, lui manque(ront) toujours.
Et c’est ce qui m’arrive aussi à moi : ses créations, ces deux expositions [1], me manquent déjà. Me manqueront à jamais.
Comme je ne vivrai et n’écrirai plus jamais comme avant, après avoir vu l’artiste, un après-midi, du vendredi le 3 mars 2023, chez elle, à Coutances, où, en fin de visite, elle s’est tout d’un coup accroupie et a commencé à manier, avec des gestes rapides, violents et doux, caressants en même temps, sur le carrelage même, une de ses dernières créations, une de ces laines noires, une sorte de grande « boule » à plusieurs « cellules ». Elle n’arrêtait donc pas de la malaxer, rétrécir, modifier, sous ses paumes et sous son corps entier : tout son corps le corps d’un être entier. Son corps en majesté, quoique accroupi. Gestes et « objet » dans lesquels j’ai vu, confusément mais avec force, les gestes d’une mère jouant ou s’occupant de son bébé ; les gestes d’un… enfant (l’artiste toujours) tapant doucement dans un ballon, elle-même bondissant et essayant de maîtriser le ballon mais pas trop ; j’y ai « vu » et ressenti sa joie, simple et si complexe, à vrai dire. Tout en sautillant légèrement sur place, elle était heureuse de se trouver là, de se trouver tout simplement quelque part – sur place et… à sa propre place. Le geste aussi d’emballer, d’empaqueter sans jamais le mettre de côté, un objet dont on ne se sert plus : le ranger en éternité. Et surtout les gestes d’un scarabée sacré, en train de faire sa boule.
Mettre en désordre l’ordre pour le… remettre en désordre ! Et recommencer ! Voilà sa dialectique !
Perpetuum mobile, à vrai dire.
Quel amour a-t-elle alors réinventé ? L’amour fou (quand tout autre amour n’est pas à être signalé / nommé) : l’amour où, selon Roland Barthes qui disait, en 1977, dans une émission à la radio, sur France inter, « Le masque et la plume », à propos de son Fragments d’un discours amoureux : « Ce que j’ai voulu restituer, ou simuler, car c’est (…) une espèce de désordre de langage, qui se passe, qui passe, dans la tête d’un sujet amoureux. Le sujet amoureux, au fond, ne peut donner lui-même absolument aucun sens, il ne peut pas donner le sens d’un destin à ce qu’il vit. Bien sûr, une fois que l’épisode amoureux est fini il est très possible de le construire rétroactivement comme un destin. Mais quand on est dedans on est plongé dans une sorte de désordre profond, de ces sortes de bouffées de langage, d’épisodes de langage, qui vous passent dans la tête, et par là même le roman est une sorte de construction a posteriori, qui falsifie cette sorte de désordre extrêmement vif, qui fait d’ailleurs que couramment, le sentiment populaire depuis très longtemps, parle de l’amoureux comme d’un fou. ». Phrase où il faudrait lire à la place de langage les gestes de la vie et à la place du roman et de l’épisode amoureux – l’œuvre (plastique / artistique) de Virginie Hervieu.
Donc : ne pas trop chercher de sens à ce que vous voyez – c’est le geste qui compte, l’acte de faire. Ce qui ne veut pas dire non plus qu’il n’a aucun sens ; au contraire : peut-être même trop de sens – sans annihiler son existence pour autant. Le geste amoureux.
Car les créations dialectiques de Virginie Hervieu n’interdisent pas une image de fond (foncière !) persistante – et que chacun peut « imaginer » / sentir. Image persistante. Un sens dernier ?
Oui, celui de l’amour – qui a mille faces.
Et je rajouterais qu’on pourrait parler, à propos de ses créations, de leur puissance même, qui est « puissance de passages ou de ‘migrations’ », comme disait Aby Warburg.
Puissance toujours excentrique, donc – excentrique dans le sens d’éloigné d’un centre. Et ce centre, je pense, restera toujours mystérieux.
Bien sûr que Virginie Hervieu est de ceux qui penchent, qui restent… à la marge, qui sont de côté, L’artiste qui penche n’est finalement qu’une tautologie. Et qui, pour autant, est encore plus vrai et vivant.
Il faut imaginer Dieu amoureux. Ne pas avoir peur de le dire.
Ou : quand faire et aimer ne font qu’un.
[1] Celle du Bouillons Kub, à Orval, entre 2-30 avril 2023, et celle dans son propre espace d’exposition, « Le poirier qui penche », à Coutances, entre 6-30 avril 2023.
Le texte a été aussi imprimé, par les soins de l'artiste,
en 100 exemplaires,
en attente des deux vernissages, quoique simultanés,
le 2 avril 2023
pour qu'il soit mis à disposition des visiteurs des deux expositions
(à Orval, au Bouillons Kub, et à Coutances, chez l'artiste, dans son espace d'exposition)
Hésitante, méfiante, mais enchantée, finalement,
du résultat - ou de cette rencontre :
rencontre sans fin
Ce lien vers son Blog :
https://lepoirierquipenche.wordpress.com/
Et cet autre lien, vers un site avec ses créations anciennes et avec des textes sur sa création par des auteurs vraiment spécialisés dans la critique d'art :
oeuvres artistiques :
https://www.documentsdartistes.org/artistes/hervieu/repro.html
textes critiques :
https://www.documentsdartistes.org/cgi-bin/site/affiche_art_web.cgi?&ACT=2&ID=3
Ici quelques autres photos, du lundi 20 mars 2023,
visite privée
(reçus par André, avec l'artiste même et un musicien qui clôturera l'exposition, le 30 avril 2023)
de son "mur" fini, au Bouillons Kub,
en attente du vernissage, le 2 avril 2023 ;
"Collection" / "fabrication" d'objets
depuis 25 ans !
Et aussi ces autres photos,
de son exposition simultanée,
au Poirier qui penche :
Visite "privée" du samedi 25 mars 2023
difficile choix des photos :
comment rendre compte de l'infini ?