sur France culture :
émission de 1975, par Hubert Juin
rediffusion : la nuit du 23 vers 24 novembre 2022
Avec (dans le désordre) :
Philippe Sollers, Alain Jouffroy, Marcelin Pleynet,
François Caradec et Noël Arnaud
1 h 30'
Dans Les Chants de Maldoror,
Chant 5 :
cela me "parle" fortement :
"[Lecteur]
La frontière entre ton goût et le mien est invisible ;
tu ne pourras jamais la saisir : preuve que cette frontière elle-même n’existe pas."
Mais la citation doit être lue, évidemment,
dans le contexte du livre entier !
Pour comprendre que ce n'est que...
le noyau même du livre!
Noyau comme une fine lamelle, placée au centre d'un beaucoup plus grand noyau,
celui-ci étant une sphère,
et elle, la sphère-noyau,
remplie d'une infinité de graines !
Alain Jouffroy - sur les "détournements " révolutionnaires
(entre autres)
de Lautréamont ! !
(à partir de la minute 45' 30" jusqu'à la minute 55'
Et, les plus saisissantes, les propos de Philippe Sollers,
sur la question du "nom" !
à partir de 1 h 06' 25" jusqu'à 1 h 11' 25"
Comment fai(sai)t-il ?
"[...] D'où vient Lautréamont ? D'où vient ce Ducasse ? Je pense qu'il vient d'un inconscient qui lui, alors, a une avance considérable sur la culture sur laquelle il va se greffer.
Finalement, une littérature, c'est le choc entre un inconscient et la culture dans laquelle il est plongé. C'est à dire les limites historiques, sociales, économiques et du savoir. Si on prend l'arrivée, l'effraction de cet étranger, de ce retour du refoulé qu'est Ducasse, puisqu'il fait partie d'une famille qui est allée s'installer dans une autre langue, dans un autre contexte culturel et qui vient se reproduire, d'égorger quelque chose qui a été emporté et greffé sur un autre terrain, il vient en position d'extériorité. Ca je crois que c'est très important. A ce sujet je voudrais faire simplement la remarque suivante : c'est que, je pense, que s'il y a eu l'interprétation disons emphatique, mythique et métaphysique de Lautréamont, due pour la plus grand part aux surréalistes. Si, ensuite, on a commencé à s'apercevoir qu'il fallait surtout étudier le procès d'écriture de Lautréamont-Ducasse, c'est-à-dire finalement son traitement de l'écriture au plus près de l'écriture en train de se faire et la contradiction qui s'en dégage. Je crois qu'aujourd'hui quelque chose d'important serait à voir probablement d'un côté encore plus freudien, car Pleynet a tout à fait raison de dire que c'est un auteur de crise, mais c'est un auteur de crise parce que justement Freud vient, va introduire une crise monumentale dans toutes les procédures du langage, de l'énonciation et de l'inconscience, donc je crois qu'une interprétation aujourd'hui devrait se demander à quelle recherche sur l'inconscient, fondamentale, se livre ce personnage qui écrit ça. Et je dirais que c'est pour moi, maintenant, étant donnée une fonction sur laquelle je pense on n'a pas encore assez insisté, qui est la fonction de l'humour de cette écriture. Je crois qu'il faut y insister maintenant pour être tout à fait à l'aise avec Lautréamont-Ducasse, et ne plus avoir par rapport à lui aucune révérence, ni aucune dévotion et justement ne pas en faire une nouvelle tête molle. Cette fonction de l'humour, qui est une fonction d'introjection, justement, de recherche d'introjection de la fonction parentale, est liée de toute évidence à une enquête sur la paternité. Or, nous savons encore très peu de choses sur le père de Ducasse, mais nous savons que François Ducasse était quelqu'un d'assez cultivé pour son temps. [...]
On sait, mais on ne sait pas avec beaucoup de détails, qu'il était positiviste, qu'il avait fait plusieurs conférences sur Auguste Comte, ce qui, à mon avis, est assez important. Parce qu'on pourrait dire, si vous voulez, que l'emphatisation, la mythologisation de Lautréamont signeraient peut-être chez ceux qui l'ont produite une sorte de dénégation de la fonction paternelle, si on voulait en faire une interprétation freudienne. Il lisait donc, il faisait des conférences sur Auguste Comte et ce que j'ai été amené à remarquer, c'est que le premier prénom de Comte, c'est Isidore, c'est-à-dire Isidore Auguste Comte. Vous trouvez là une sorte de matrice symbolique du nom même de Lautréamont, puisqu'il va prendre comme pseudonyme comte de Lautréamont, d'Auguste Comte, et que son propre prénom - Ducasse, Ducasse, c'est un nom très lourd de significations - c'est Isidore. Il y a là toute une scène entre le père et le fils, qui donne probablement lieu à un investissement. [...]
Il avance en quelque sorte vers son nom. C'est quelqu'un qui avance vers son nom, et je crois que là il y a quelque chose qui est d'ailleurs soulevé très tôt par Pleynet, pour la première fois, qui est justement que Lautréamont se fait fils de ses oeuvres, mais ce qu'il retrouve paradoxalement à la fin de cette longue analyse, pourrait-on dire, c'est la possibilité de signer de son nom, qui lui était profondément interdite.
Alors vous voyez que là se dessine une scène tout à fait étrange, puisqu'elle est sans exemple, sans précédent, sans comparaison avec aucune autre scène d'écriture. Pas de nom, un pseudonyme et enfin son propre nom. C'est exactement à l'envers, si vous voulez, du cheminement normal d'une acquisition symbolique. [...]
Pourquoi avoir retenu ces paroles de Sollers ?
Parce que je me construis/sculpte essentiellement (toujours)
avec/dans/à travers/entre les lignes et les mots,
voire les actions des autres !
Le reste - n'est pas... silence, mais mon silence !
Mais à transcrire aussi
toute la suite des propos de Sollers / de la discussion !
Tout aussi (encore plus !) essentielles, voire actuelles !
(quoique pas d'actualité !)