Festival Livres en tête, 10-ème édition
lundi 26 novembre 2018
Lectures par les étudiants du collectif Les Livreurs
Les poèmes de Sanda Voïca lus
par Tania Sanchez Yanez (son propre choix)
d'Epopopoèmémés et Trajectoire déroutée
Questions aux poètes par Guillaume Métayer
Les livres des auteurs disponibles en dédicace à la soirée
détails sur le Festival : http://festivallivresentete.com/
détails sur Les Livreurs / La Sorbonne sonore : http://festivallivresentete.com/equipe-livres-en-tete/sorbonne-sonore/
Mes poèmes choisis et lus par Tania Sanchez Yanez :
Sélection de poèmes parmi 2
ouvrages :
1.
Epopopoèmémés
/ Editions Impeccables, 2015
2.
Trajectoire
déroutée / Lanskine éditions, 2018
1.
Epopopoèmémés
(1665 mots)
Je suis
ici
Neuf
heures du matin, d’un dimanche sous le déluge : pluie si drue,
que les gouttes,
débordées, envoient des pétitions à tout va, à l’aide du vent :
laissez-nous
reprendre notre souffle.
Samuel à
côté de moi, ouvre un œil, littéralement, et me demande : « Qu’est-ce
que tu fais ? »
Je lui réponds :
« Je suis ici. » Et je sais que je suis ici, sans trop de
mots.
Mais s’il
fallait l’expliquer ? Si j’avais une interrogation, ou un exposé à faire à
partir de ma présence ici – que dirais-je de plus ?
La lumière
verte de l’éolienne, au loin, palpite à peine : la pluie plus dense que le
brouillard, il y a une semaine.
Je prie
sans prier ; envie d’aller dans une chapelle ; sous le soleil.
La
seconde d’après avoir écrit ceci, je vois par la fenêtre la chapelle du moment :
mon
jardin et ses alentours, abrités par la pluie, son épaisseur lui faisant
un toit mouvant.
Ce qui
me paraissait le déluge, devint ce qui sauve.
La pluie
sous toutes ses… gouttes a du bien. Le sapin au coin du jardin et le tulipier
près de la maison
font les
deux piques d’une tente-chapelle – où le simple fait d’y être, en se le disant : « Je
suis ici »,
constitue
ma prière.
(…)
● (…)
On a le
droit d’être mou
Les délices
de la mollesse je les sens ce soir aux bras, aux fesses,
Dans le
cou et dans les doigts :
(…)
La
mollesse me botte.
La
mollesse me cuisse.
La mollesse
me charme.
Faisandée
par la mollesse du jour.
Le mou
me molle.
Se
molletonner aux choses.
Mollasse
mais jamais lasse.
Moi en
plus complète – pas encore Dieu, mais une petite déesse.
Remplie
de ma cuisse blondasse
encore désirante
d’y faire entrer mon homme.
L’énergie
d’une molle n’est pas une énergie de substitution mais une de constitution :
elle
remplit mon corps et mes jours – travaux nouveaux.
Pour une
nouvelle Constitution, aussi – la mollesse de l’homme.
(…)
L’éolienne,
depuis des mois, au loin, à la même vitesse : molle.
Eole
freiné dans ses élans par un moteur.
Et moi :
quel moteur me molle ?
Ma
mollesse est vive et ma vitesse molle :
Molle
qui peut.
● (…)
Je suis
fripée de bonne heure et me couche tard
Je suis
fripée de bonne heure et couchée très tard hier soir.
Très
fatiguée, je regarde le ciel très bleu – l’air si pur qu’il me laisse voir deux
amoureux collés, côte à côte, sans s’embrasser, de la transparence de l’air, en
plus consistants.
Je
regarde le ciel, l’air jusqu’à lui très pur : deux gros oiseaux en vol ont
le ventre brillant, ensoleillé par l’astre à l’envers.
Je suis
très fatiguée, le ciel se moutonne après le passage croisé de plusieurs avions.
Je sens
le bonheur soudainement – sans d’autres raisons que ma fatigue, le ciel pur et
ensuite souillé par les nuages artificiels, par les oiseaux ensoleillés par
en-dessous et par le couple d’air d’amoureux, presque gélatineux, dans l’air.
Je suis fripée de bonne heure et me couche
tard,
Je suis très fatiguée et d’un coup heureuse.
Je vous
dis des choses d’hier, d’avant-hier même. Aujourd’hui, le souvenir tranquille,
après le bonheur transperçant. Me traversant jusqu’à l’évanouissement.
2.
Trajectoire
déroutée (2180mots)
C’est
quoi une fenêtre ?
Mon squelette
récent.
(…)
●
Je
cherche l’insecte
dans les
mottes de terre
que je
retourne dans mon jardin.
La fille
n’est plus ici
n’est
plus aussi souvent dans mes rêves n’est pas assez dans mes lignes.
Elle s’est
réfugiée dans cet insecte qui traverse les mottes pendant que je jardine. Je l’ai
à peine vu hier
dans la
terre bien noire
et aérée.
Je
recherche aujourd’hui
l’insecte
dans la terre :
depuis
hier,
depuis
deux ans,
depuis
sa naissance.
Je n’ai
pas perdu l’espoir
de la
revoir passer –
demain
je vais retourner la terre
pour les
plantations d’hiver.
●
Le temps
fait
gonfler les feuilles
les sèche
augmente
leur épaisseur.
Leur trépas
est glorieux
quoique
anonyme.
Le temps
rétrécit ma peau
la sèche
diminue
son épaisseur
ou l’augmente
selon
les jours.
Ma
survie est anonyme
quoique
glorieuse.
Le
souffle de la feuille
et celui
de ma peau
font un.
●
Mon cœur
alourdi
sort de
mon corps,
coule
vers la terre,
devient
un pis
et il
nourrit
de ses gouttes
immenses
couleur
bleu-ciel
– ou
bien royal ? –
ma fille
enterrée.
●
Dans la
nasse du jour
je jette
une nouvelle nasse
et j’y
retrouve
les
nasses des autres jours.
Dans
chacune il y a
encore
des nasses –
celles
des jours anciens.
A la pêche,
je n’attrape
que des nasses.
●
La
jouissance de chaque jour
devenue
point noir dans un miroir d’or. Des peupliers à droite et à gauche descendent
asymptotiquement vers une racine commune.
Le
soleil roule
sur la
rue étroite, la nuit,
à
la poursuite des passants – qu’il ne
voit pas encore.
Le
soleil à la portée du moindre ivrogne ou fille de rue
– rejetons
de la soirée –.
Mais il
guettait surtout le passant qui ne soit pas que faux ou vrai que petit ou grand
mais tout
à la fois.
Le
soleil n’est plus bien
dans sa
totalité.
Il
essaye les nuits :
y
rencontrer
le
premier homme sorti
d’une fête
sans conséquences.
●
Il n’y a
plus qu’une saison :
celle de
son absence.
Il n’y a
plus qu’une plante :
le gui
fleuri
couvrant
le sol et remplissant l’air.
Il n’y a
plus qu’un rythme :
de la
marche sans jambes.
Il n’y a
plus qu’un honneur :
celui de
la mort
surgissant
sous les doigts
finissant
la toile.
Il n’y a
plus qu’un pic,
pour la
même escalade :
celle
par le versant ouest
mais d’où
le soleil s’absente
et que mon
cœur chauffe à blanc.
Son
absence transforme mon corps en baudruche géante errante.
●
J’ai vu,
j’ai trouvé, j’ai compris
une
chose
si
claire et éclairante
mais si
vite partie
que je
ne puis dire
que ses
ailes très longues
en vol
très calme,
sans pouvoir
identifier le corps.
●
Un
chaudron fume :
tout
autour de ses parois extérieures jaillissent des brins scintillants : la journée
inutile lâche
ses
chevaux, enfin.
Le
chaudron refroidit brusquement se plie et devient
le dos d’un
cheval marron
avançant
vers le soleil.
Mon
squelette en chaux vive
descend
vers vous…
Le
serpent que je n’ai jamais écrasé
Transformé
en bande rigide d’or
Traverse
la route derrière moi.
La chaux
s’évapore, vole,
Nuage de
poussière.
Me voilà.