Salut à vous Sanda Voïca,
Notes diverses en marge de Epopopoèmémés.
1.
Il y a une étrange distinction de la digression à l’intérieur de vos phrases, c’est-à-dire aussi une distinction de la démence. Il y a une magnifique
 élégance intuitive de vos phrases, une superbe confiance en votre 
intuition, en l’errance même de votre intuition c’est à dire en 
l’intuition de votre exil. 
« Je m’abime et je suis diligente. » 
La digression révèlerait ainsi la virtuosité de rester diligente à l’intérieur de l’abime. 
« Je me dandy-ne. Dandy-esse ou déesse : il faut que ça dandine avec adresse. » 
La
 digression se dandine dandy. La digression se dandine dandy à 
l’intérieur de l’abime. La digression se dandine avec diligence, avec 
diligence dandy à l’intérieur de l’abime. La digression se dandine dandy
 à l’intérieur du noir. La digression se dandine dandy à l’intérieur de 
la ribambelle de tonnerre de l’abime, à l’intérieur de la ribambelle de 
tonnerre du noir. 
J’aime
 bien aussi votre manière d’essaimer des prénoms et des noms presque à 
chaque page parmi le flux de votre poème. Cette manière d’essaimer ainsi
 des prénoms et de noms ressemble un peu à celle de B. Cendrars. 
« Les noms propres suffisent pour faire battre le cœur -, entendus ou prononcés. » 
Les
 noms propres révèlent la pulsation cardiaque de la parole. Les noms 
propres donnent à sentir les pulsations cardiaques de la parole, les 
vortex cardiaques de la parole, les vortex d’éclats cardiaques de la 
parole, les vortex de clarté cardiaque de la parole.  
Il
 y a parfois aussi des intonations dégingandées à la manière d’Allen 
Ginsberg dans votre texte, comme dans Howl par exemple. Je ne saurais 
dire précisément pourquoi, en effet je n’ai jamais lu le livre de 
Ginsberg, je l’ai seulement feuilleté d’innombrables fois entre les 
étagères de la Bibliothèque municipale d’Angers sans jamais cependant 
l’emporter, et là non plus je ne saurais dire pourquoi. Le dégingandé, 
c’est à dire la vitesse molle ou encore la vivacité floue, le 
dégingandé, le déguenillé et parfois même le dégoupillé, le dégingandé 
semblable à une sorte de déglutition salivaire, salivaire solaire de 
l’enjambement. Ainsi une virtuosité de la digression c’est à dire un lierre de la volubilité.
« Apprendre et apprendre aux autres - non pas en tant que Maitre ou Magister, mais en tant que … Autre- »
Ce
 qui apparait de manière flagrante à l’intérieur de votre écriture, 
c’est votre aptitude à donner à penser. Ce que vous écrivez donne à 
penser à la fois parce que vous apparaissez extrêmement accueillante aux
 voix des autres et que jamais pourtant ce que vous dites n’est 
similaire à une quelconque ventriloquie (à la différence de la très 
grande majorité des petits maîtres de pacotille de la modernité et de la
 post-modernité qui le plus souvent ne sont rien d’autre que des 
ventriloques parfaitement inconscients ; ventriloquie de Bataille, 
ventriloquie d’Artaud, ventriloquie de Du Bouchet etc, les exemples 
seraient innombrables.) 
Vous
 êtes ainsi extrêmement accueillante à la voix des autres, la voix c’est
 à dire la coïncidence de vide entre le sommeil et le rêve. Il y a ainsi
 une sidération émolliente à l’intérieur de vos phrases. « Et 
aujourd’hui je parle, ce sont plutôt les étoiles dans ma bouche qui 
parlent. »
L’oscillation
 entre l’attendre et le sans attendre revient sans cesse à l’intérieur 
de vos phrases (oscillation d’ailleurs attendrissante). Les dés et les 
mots n’abolissent pas l’attente et malgré tout les lettres doivent être 
envoyées sans attendre. « Qu’elles partent aujourd’hui même ces lettres,
 que ma volonté soit faite ! » Par cette insistance de l’attente vous 
êtes proche de l’œuvre de M. Blanchot « L’attente ne donne pas la 
parole. Mais la parole répond à l’attente. » L’Attente, l’Oubli.  
Il
 me semble que vous devez choisir à chaque instant entre l’attente à 
l’intérieur de l’exil et le sans attendre à l’intérieur de l’ici, ou à 
l’inverse entre le sans attendre à l’intérieur de l’exil et l’attente à 
l’intérieur de l’ici. Et cet intervalle entre l’ici et l’exil reste à 
chaque fois inconnu à votre adresse. « Je tombe de plus en plus souvent 
dans une sanda ou dans un voïca inconnue à mon adresse. » Malgré tout à 
l’intérieur de cet intervalle entre l’ici et l’exil, ça se dandine aussi
 avec adresse. La digression serait ainsi une manière de se dandiner 
avec adresse à l’intérieur de l’inconnu à votre adresse, à l’intérieur 
du vide inconnu à votre adresse. La digression serait ainsi une manière 
de se dandiner avec adresse en attendant sans attendre entre l’ici et 
l’exil à l’intérieur du vide entre le prénom et le nom inconnu à votre 
adresse. Comment savoir en effet à quelle adresse l’écriture a lieu ? 
Comment savoir à quelle adresse l’écriture à la fois survient et repose,
 à quelle adresse l’écriture à la fois surgit et s’endort ? 
2.
Dans
 votre titre Epopopoèmémés, j’entends une sorte d’épopée pop, une 
délibération de grand-mère pop, une délibération de grand-mère pop un 
peu dingue, entre Bob Dylan et Brigitte Fontaine. 
Étrangement
 Pop, c’est à la fois le nom du père de votre fille et l’abréviation du 
mot populaire en français. C’est ainsi comme si vous aviez fait un 
enfant avec un diminutif pseudonyme du peuple français. 
Je
 me demande enfin si ce qui reste impensable à l’intérieur de ce titre 
n’est pas quelque chose comme une sorte de scorie intraduisible entre le
 français et le roumain. Il me semble que vous entendez dans le mot 
épopée quelque chose qu’un français n’entend jamais, de même par exemple
 que Kundera parce qu’il est tchèque entend l’aspect terne du mot 
éternité en français et plus encore une sorte d’amoncellement de pitres 
ternes dans le mot sempiternel.
« Voilà, je dois chercher un peu de mémoire supplémentaire pour ma boite. Et pour mon cerveau… »
Le
 problème reste de savoir à quel type de boite le cerveau ressemble 
alors exactement. Le cerveau est-il une simple boite de carton, une 
boite de plastique, une boite de métal, une boite à outils, une boite à 
musique, une boite à outils à musique, une boite de boitements, une 
boite qui se met en boite (une poupée russe de la moquerie donc), une 
boite à malices, une boite de bonbons, une boite à malices de bonbons, 
une boite à fumée, une boite à bijoux, une boite à fumée de bijoux, une 
boite à lettres, une boite à lettres de bonbons, une boite à lettres de 
fumée, une boite à lettres de bijoux, une boite noire, une boite de 
vitesse, une boite de vent, une boite de vitesse du vent, une boite à 
lettres du vent, une boite à bijoux du vent, une boite de dérivation, ou
 plus bizarrement encore une boite crânienne, une boite de dérivation 
crânienne, une boite atomique, une boite radioactive, une boite de nuit,
 une boite de nuit atomique, une boite de nuit radioactive, une boite à 
bijoux de nuit, une boite à lettres de dérivation, une boite à lettres 
de dérivation de fumée, une boite à lettres de dérivation de vent, une 
boite à lettres de dérivation de nuit. 
 « Silence du cerveau… »
Je
 ne sais pas s’il y a un silence du cerveau, j’ai souvent l’impression 
que le cerveau et le silence s’affrontent en un combat sans merci, sans 
s’il vous plait et sans merci, un combat sans aucune politesse, un 
combat d’une banalité effroyable. 
3.
«  Mon œuvre dort. »
Immense
 problème du sommeil. J’ai le sentiment qu’à ce problème il y a deux 
réponses inoubliables, celle de Lautréamont qui affirme le désir de ne 
jamais dormir, la lucidité insatiable de l’insomnie et à l’inverse celle
 de Péguy qui affirme la volonté paisible du sommeil. L’audace serait 
malgré tout de parvenir à savoir ce que Lautréamont savait à l’intérieur
 de la démence de sa lucidité et à dormir malgré tout tranquille ainsi 
que le voulait Péguy, c’est à dire à la fois comme un travailleur et un 
enfant, comme un travailleur enfantin. 
Dormir
 c’est avoir confiance en la présence du monde. Dormir c’est 
s’abandonner au dénuement de la plus extrême vulnérabilité et cela 
malgré tout avec la certitude que le monde restera bienveillant envers 
notre existence. Dormir c’est s’abandonner à la bienveillance de terreur
 du monde. 
«  Il faut dormir pour pouvoir trahir. »   
J’ai
 plutôt le sentiment qu’il apparait nécessaire de dormir afin 
d’accueillir la métamorphose de la chair, afin d’affirmer la 
métamorphose de la chair sans que cette métamorphose soit une trahison. 
J’ai le sentiment qu’il apparait nécessaire de dormir afin d’affirmer la
 confiance de la chair, la métamorphose de confiance de la chair, la 
métamorphose de confiance comme la confiance de terreur de la chair. 
Il
 y a un sommeil souverain de l’écriture. Ecrire c’est quelque chose 
comme dormir à l’intérieur de la lucidité. Ecrire c’est dormir à 
l’extrémité même de la lucidité, à l’extrémité de la falaise de la 
lucidité. Écrire c’est dormir comme un funambule à l’extrémité de la 
falaise de la lucidité.
«  Mon sommeil et mon éveil ne font qu’un ! » « Éveil et sommeil ? LE MEME REVE. »  
J’ai plutôt le sentiment que
 la lucidité devient la forme du sommeil comme le sommeil devient la 
forme de la lucidité à l’intérieur de la clandestinité du destin, à 
l’intérieur de l’insouciance de l’inexorable, à l‘intérieur de 
l’insouciance clandestine du destin, à l’intérieur de l’insouciance 
clandestine de l’inexorable.
« Les livres, le sommeil et les rêves des autres me suffiront jusqu’à la fin des mondes. »
 L’écriture serait ainsi ce qui révèle qu’il existe un seul sommeil pour la multiplicité même des mondes. 
4.
 « Combien de fois un homme doit-il regarder en l’air avant de voir vraiment le ciel ? »
Je
 me souviens de mon émotion la première fois où j’ai senti la présence 
du ciel. Avant cet instant, je voyais le ciel sans en avoir la 
sensation. Avant cet instant, le ciel n’était pour moi qu’une image 
autrement dit un fond du décor humain, le fond de décor de la société 
des hommes (un peu comme dans The Truman Show de Peter Weir où le ciel 
est peint sur un mur). Ainsi à cet instant pour la première fois, je 
touchais le vide du ciel, je respirais et même j’humais le vide du ciel,
 j’humais la proximité paradoxale du lointain. Ainsi pour la première 
fois, l’espace venait à ma rencontre comme je venais à la rencontre de 
l’espace, l’inhumanité de l’espace venait à ma rencontre comme je venais
 à la rencontre de l’inhumanité de l’espace. Avant cet instant, il n’y 
avait que l’humanité, la société incessante des hommes. Après cet 
instant il y avait à la fois les hommes et le monde, les hommes et la 
présence du monde, les hommes et l’immensité du dehors. Et puis aussi 
paradoxalement cette présence matérielle du monde donnait ainsi à sentir
 la présence matérielle des hommes. La présence inhumaine du monde 
provoquait l’extraction de l’humain en dehors de sa situation de 
stéréotype. 
« L’Alvéole de mon silence. »
 Le
 vent multiplie des alvéoles de silence. Le vent multiplie des alvéoles 
de silence par des milliers de cils auditifs. « Ce matin, j’aiguise mon 
ouïe, pour arriver non pas à un œil avec Des milliers de facettes, mais à
 des milliers de cils auditifs. » Le vent invente les alvéoles de 
silence du dehors. Le vent invente les alvéoles de silence du dehors au 
sommet des cils de sa voix, au sommet des cils auditifs de sa voix, au 
sommet des cils de sommeil de sa voix. 
« Marteler pour fixer le chant boiteux. »
Le
 vent martèle la voix. Le vent martèle les cils de la voix. Le vent 
martèle l’envol. Le vent martèle les cils de l’envol. Le vent martèle 
l’envol de la voix. Le vent martèle les cils d’envol de la voix.
« On ouvre les bras pour voler et on est crucifié. »  
Le
 vent martèle la crucifixion de la voix. Le vent martèle les cils de la 
crucifixion, les cils d’envol de la crucifixion, les cils de crucifixion
 de la voix, les cils d’envol crucifié de la voix. 
« Je me veux dans le vent. » « Sa volubilité reste à découvrir. » 
La volubilité du vent reste à découvrir. Se vouloir à l’intérieur du vent comme la volubilité reste à découvrir. La
 volubilité du vent reste à découvrir à l’intérieur de l’attente. La 
volubilité du vent reste à découvrir à l’intérieur de la crucifixion 
d’envol de l’attente. 
Le
 vent invente son délire. Le vent invente son évanouissement. Le vent 
invente le délire de son évanouissement. Le vent invente les cils de son
 délire, les cils de son évanouissement, les cils de délire de son 
évanouissement. 
« Je t’envoie des draps. Tu m’envoies du vent. »
Vouloir
 les draps du vent. Vouloir la volubilité du vent. Vouloir les draps de 
volubilité du vent. Vouloir les draps de fraicheur du vent, les draps de
 fraicheur volubile du vent. 
« Dans le bon vent : celui qui n’enfle pas trop ma voix… »
Trouver
 la voix de distinction du vent. Trouver la distinction de la démence 
comme une ribambelle de tonnerre. Trouver la distinction de démence de 
la voix comme une ribambelle de tonnerre à l’intérieur du vent. Trouver 
la distinction de démence de la voix avec la ribambelle de tonnerre du 
vent au sommet du crâne, avec la ribambelle de tonnerre du vent comme 
aura.
Apposer
 le piano du vent. Apposer le piano du vent en apesanteur. Apposer le 
piano du vent en apesanteur à l’intérieur de la maison, à l’intérieur du
 silence de la maison. Apposer le piano de savon du vent. Apposer le 
piano de savon du vent à l’intérieur du crâne de silence de la maison, à
 l’intérieur du miracle de silence de la maison. 
« Je suis vent dans le vent. Je m’encrucifie dans le vent de Coutances. »
Comme
 quoi seul le vent parvient à photographier le Christ. Seul le vent 
parvient à photographier à la fois le Christ et le vide du Christ, le 
Christ comme la disparition du Christ, la présence du Christ comme 
l’évanouissement du Christ. Oui seul le vent. 
« Stalker de mes jours, Stalker de mes soirs, Stalker de mes aubes. »  
Salutations
 ainsi à Andreï Tarkovski. Et vous dire simplement que Tarkovski est mon
 cinéaste préféré. Stalker, oui seul le vent. Stalker, avec 
l’exclamation du sourire. Stalker, oui seul le vent avec l’exclamation 
du sourire. 
(La
 digression serait ainsi une manière de jeter l’écrou de l’écriture à 
l’intérieur du paysage de la page, une manière de jeter l’écrou d’ombre 
de l’écriture à l’intérieur du paysage d’aurore de la page, à 
l’intérieur du paysage d’absurdité de la page, à l’intérieur du paysage 
d’aurore absurde de la page.) 
« Ouvrir les yeux pour- je ne sais plus : c’était hier déjà. »
Ouvrir
 les yeux à l’intérieur du vent. Ouvrir les yeux à l’intérieur d’hier 
déjà. Ouvrir les yeux à l’intérieur du vent d’hier déjà. Ouvrir les yeux
 à l’intérieur des révérences du vent. Ouvrir les yeux à l’intérieur de 
révérences d’hier déjà, à l’intérieur des révérences de vent d’hier 
déjà. 
« Ne plus dormir - autrement que dans une veille retournée ? »
Ouvrir
 les yeux à l’intérieur du sommeil. Ouvrir les yeux à l’intérieur du 
vent du sommeil, à l’intérieur du vent d’hier déjà du sommeil, à 
l’intérieur des révérences du sommeil, à l’intérieur des révérences de 
vent du sommeil, à l’intérieur des révérences d’hier déjà du sommeil, à 
l’intérieur des révérences de vent hier déjà du sommeil. 
Ouvrir
 les yeux jusqu’à dormir. Ouvrir les yeux jusqu’à dormir à l’intérieur 
du vent. Ouvrir les yeux jusqu’à dormir à l’intérieur d’hier déjà. 
Ouvrir les yeux jusqu’à dormir à l’intérieur du vent d’hier déjà. Ouvrir
 les yeux jusqu’à dormir à l’intérieur de la démence du vent, à 
l’intérieur de la démence d’hier déjà, à l’intérieur de la démence de 
vent d’hier déjà. 
Ouvrir
 les yeux jusqu’à dormir à l’intérieur d’un livre. Ouvrir les yeux 
jusqu’à dormir à l’intérieur du livre du vent. Ouvrir les yeux jusqu’à 
dormir à l’intérieur d’un livre de lèvres, jusqu’à dormir à l’intérieur 
du livre de lèvres du vent. 
5.
« Mon chat réalise l’impossible… » 
Le
 chat révèle la chance de la métamorphose. Le chat révèle la chance 
subtile de la métamorphose, la chance d’amnésie subtile de la 
métamorphose. Le chat révèle la chance d’amnésie subtile de la 
métamorphose immobile.  
Pascal
 Quignard a écrit de belles phrases à propos des chats dans son livre 
Mourir de Penser. « Les chats aiment la tension nerveuse. Elle les 
attire comme une chaleur, comme un mouvement d’ondes, comme une 
électricité. Les chats s’approchent irrésistiblement des êtres 
immobiles, inquiets, soucieux – ou même des êtres qui eux-mêmes 
s’approchent de la mort dans la plus grande stupeur. (…) Ils 
s’installent de tout leur long sur les corps qui songent à quelque chose
 qu’ils ne savent pas encore articuler. (…) Les chats aiment la pensée. »
 Ainsi
 ce que le chat cherche et trouve à chaque instant c’est l’électricité 
de l’âme, l’électricité elliptique de l’âme comme digression aléatoire 
de l’immobilité. Le chat cherche et trouve à chaque instant le 
dandynement électrique de l’âme, le dandynement électrique de la 
digression immobile, le dandynement électrique de la catatonie. 
« Le chat. Son cul, mon œuvre. » « Le chat. Mon œuvre. Je le nourris, comme mon rêve le plus cher. »
Ecrire
 comme nourrir le chat. Écrire comme nourrir le chat à l’intérieur du 
vent. Écrire comme nourrir le chat à l’intérieur de la crucifixion du 
vent. Ecrire comme nourrir le cul du chat. Ecrire comme nourrir le cul 
du chat à l’intérieur du chef d’œuvre du vent, à l’intérieur du chef 
d’œuvre du vent sur la tempe, à l’intérieur de la crucifixion du vent 
sur la tempe, à l’intérieur du chef d’œuvre de crucifixion du vent sur 
la tempe, à l’intérieur du chef d’œuvre de crucifixion du vent sur la 
tempe du temps, sur la tempe de sommeil du temps, sur la tempe de 
lucidité du temps, sur la tempe de sommeil lucide du temps. 
Le
 chat, son cul, mon œuvre. Les dés comme les mots n’abolissent pas 
l’attente. Le chat, son cul, mon œuvre. Le vent touche la multitude 
d’alvéoles du silence. Les dés comme les mots n’abolissent pas 
l’attente. Le chat, mon cil, son œuvre. Les dés comme les mots 
n’abolissent pas l’attente. Le chat, son cul, mon œuvre, mon cil, son 
œuvre, Le vent touche la multitude d’alvéoles du silence. Les dés comme 
les mots n’abolissent pas l’attente. 
« Quelle langue ? Celle des pulsions, voyons »
Ou
 qui sait la langue des pulsions aveugles, la langue des pulsions de 
cils aveugles, la langue du silence c’est-à-dire la langue des pulsions 
de cils aveugles. 
A
 propos de cil, il y a cette phrase superbe de Céline Minard, dans son 
livre Le Dernier Homme. « Le sable est là depuis tant de millions 
d’années, l’océan est là depuis tant de millions d’années, le lagon se 
découpe si peu chaque jour que je peux bien rester devant tout ça 
immobile et muet à bouger un cil quand ça me plait…»
«
 Etrange fruit, assise dans mon lit : fripé, allongé, s’appuyant sur la 
présence du chat (…) Fruit d’un jour étrange, il prit la parole. »   
J’aime
 beaucoup cette image d’un fruit qui parle reposé sur la présence d’un 
animal. Prendre la parole comme un fruit. Saisir la parole au vol comme 
un fruit. Saisir la parole au vol sans la prendre à la légère comme un 
fruit. Saisir la parole au vol comme le fruit de la chute. Saisir la 
parole au vol comme le fruit de la chute se repose assis à proximité du 
chat, comme le fruit de la chute s’allonge à l’intérieur même du sommeil
 du chat, à l’intérieur de la lucidité du chat, à l’intérieur du sommeil
 lucide du chat. 
« Mon jardin et ses alentours, abrités par la pluie (…) Ce qui me paraissait le déluge devint ce qui sauve. »  
Cette image d’un déluge qui sauve apparait aussi à la fin du film Love Streams de John Cassavetes.
 A l’intérieur du salon de sa maison aux vitres baignées de pluie, 
Cassavetes a alors la vision hallucinatoire de son chien comme d’un 
vieil homme barbu qui ressemble à Noé. Ce que le déluge ainsi révèle 
c’est que ce n’est pas l’homme qui sauve les animaux en les protégeant 
du déluge, c’est plutôt à l’inverse l’animal qui sauve l’homme par le 
déluge, c’est l’animal qui sauve l’homme par l’arche du déluge. L’animal
 donne ainsi à sentir le déluge comme forme même de l’arche, l’arche 
c’est à dire l’arc de la demeure, l’arc de la demeure par lequel la 
demeure se projette au dehors par sa chute même, par le ruissellement de
 sa chute. 
6.
« Le froid qui me veut du bien… » « Dotremont dans l’Extrême Nord, vivifié par le froid. »
J’aime beaucoup le froid. Le froid intensifie la joie. 
Le
 froid forge le feu. Le froid forge le feu comme le vide du feu. Le 
froid forge le feu avec le vide comme il forge le vide avec le feu. Le 
froid forge le feu avec le vide du feu. Le froid forge le feu comme avec
 le vide du feu. 
« Forger sa mort. En forgeant le forgeron fait son son : à bonne flamme, bon son ! »
Et
 aussi forger la vivacité c’est-à-dire essayer de forger le feu. 
L’audace du froid affirme le geste de forger le feu. Le froid vole le 
vide du feu. Le froid forge le feu comme il vole le vide du feu. 
L‘audace du froid affirme le geste de forger le feu comme le geste de 
voler le vide du feu et le geste de voler le feu comme le geste de 
forger le vide du feu. 
«
 Il faut voler le feu sans perdre les braises ni les cendres, ni le 
froid pour lequel on l’allume, ni le froid vers lequel il disparait. » 
C. Dotremont
Il
 apparait nécessaire de voler le froid. Il apparait nécessaire de voler 
le feu comme le froid, comme le froid qui détruit le feu. Il apparait 
nécessaire de voler le froid où se fixe l’évanouissement du feu, le 
froid où se fixe le vertige du feu, le froid où se fixe la destruction 
du feu, le vertige de destruction du feu.   
« Œil contre œil : l‘autre œil est le soleil, que je regarde enfin en face, à travers la vitre de froid. »  
Et
 parfois même le froid, je veux dire le froid immense parvient à 
transformer le soleil en fenêtre. Le froid immense ouvre le soleil. Le 
froid immense ouvre le soleil comme une fenêtre. Ainsi par le froid 
immense, la chair sait comment sentir l’espace de la translucidité, 
c’est à dire l’espace de transformation de la lucidité, l’espace de 
transformation de la lucidité en inconnu, l’espace de transformation 
immédiate de la lucidité en miracle d’inconnu. 
L’oscillation de l’attente s’accomplit aussi pour vous à l’intérieur de la neige. « On attend la neige et on a les flocons. »
 comme si l’offrande des flocons malgré sa splendeur ne parvenait jamais
 à correspondre à la joie de la neige, comme si les flocons trahissaient
 malgré tout le jadis absolu de la neige. (Ce que vous dites à propos de
 la première neige du monde est magnifique.) 
« Je
 rends hommage à la neige qui peut rendre hommage - qui me rendra 
hommage un jour, en tombant tout simplement par terre – calme comme 
aujourd’hui, comme autrefois, »
La
 chute de la neige bénit. La neige tombe comme une bénédiction, une 
bénédiction de terreur tranquille. La neige donne ainsi à sentir la 
coïncidence de l’autrefois et de l’aujourd’hui. La neige donne à sentir 
la coïncidence du jadis et du maintenant, du jadis et de l’ainsi, du 
jadis immémorial et du maintenant ainsi. La neige bénit comme elle 
jardine le maintenant de jadis. Et le flocon peaufine cette coïncidence.
 Le flocon peaufine l’éclair du froid, l’éclair hexagonal du froid. Le 
flocon encoquille la plume du froid. Le flocon plume l’œuf du froid. 
7.
« Parlez d’abord. Parlez et vous ne serez pas ignorant. » « Voulez-vous planter les foudres ? »
Parler
 d’abord comme la ribambelle du tonnerre. Parler d’abord comme la 
ribambelle du tonnerre plante la foudre. Parler d’abord comme la 
ribambelle du tonnerre plante la foudre du vent. Parler d’abord comme la
 ribambelle de tonnerre du silence plante la foudre d’enfance du vent. 
Parler d’abord comme la ribambelle de tonnerre du silence plante la 
foudre de démence du vent, la foudre d’enfance démente du vent. 
« Et de plus en plus addicte à mes propres paroles, je me soule d’eau fraiche. »
Se
 droguer avec la fraicheur de l’eau. Se droguer avec les paroles de 
fraicheur de l’eau. Se droguer avec les digressions de l’eau, avec les 
digressions de fraicheur de l’eau. Se droguer avec les dandinements de 
fraicheur de l’eau. Se droguer avec la ribambelle de digressions de 
l’eau, avec la ribambelle de fraicheur de l’eau, avec la ribambelle de 
digressions fraiches de l’eau.
«
 Il parle, oui, je parle, oui nous parlons, oui- nous n’arrêtons pas le 
froid pour autant mais nous nous l’approprions avec joie. »
Parler
 afin de posséder le froid. Parler jusqu’à posséder le froid. Parler 
afin de posséder le crâne du froid, le crâne de silence du froid, le 
crâne d’excitation du froid, le crâne d’excitation taciturne du froid. 
Parler afin de posséder l’évidence du froid, l’évidence depuis toujours du froid. Parler afin de  posséder
 le visage d’évidence du froid, l’excitation de vide du froid, 
l’excitation d’évidence du froid. Parler jusqu’à posséder la pulsion du 
froid, la pulsion de vide du froid, la pulsion de catastrophe du froid, 
la pulsion de facilité du froid, la pulsion de catastrophe facile du 
froid, la pulsion de facilité immense du froid. 
La
 volubilité reste à découvrir vivifiée par le froid. La volubilité de 
l’évidence reste à découvrir vivifiée par froid, vivifiée par la 
crucifixion du froid, par l’athéisme du froid, par la crucifixion athée 
du froid. 
Ce
 qui reste d’une langue, avant même une vision du monde, c’est d’abord 
un accent. L’accent c’est à dire une disposition, une posture, un rythme
 de la langue à l’intérieur de la bouche, une manière de poser, de 
déposer, de disposer la langue à l’intérieur de la bouche. L’accent 
c’est à dire un geste de la langue appris à la fois par cerveau et par 
cœur à l’intérieur de la bouche. L’accent apparait comme ce qui accède à
 chaque instant à la langue et aussi comme ce qui en souligne 
l’importance. L’accent apparait comme une façon d’accepter sa langue et 
une façon de souligner l’importance de cette acceptation. L’accent est 
ainsi une sorte de résignation élocutoire, une façon de re-signer son 
élocution, une façon d’accepter la fatalité de la parole en la 
re-signant avec la langue à l’intérieur de la bouche, en paraphant les 
initiales de la langue à l’intérieur de la bouche. 
Par
 votre accent roumain vous ressemblez ainsi pour moi instantanément à la
 globalité des autres roumains que j’ai entendus parler. Par exemple 
assez bizarrement à Lana Marconi, la dernière femme de Sacha Guitry. 
« Cette cicatrice-croix » Par un lapsus de lecture j’ai lu : cette cicatrice-voix. (Ce que vous appelez voi-ciser ou voie-ciser.) La
 digression serait ainsi une manière de suivre le fil de la 
cicatrice-voix ou plutôt une manière de suivre le vide de la 
cicatrice-voix, le fil de vide de la cicatrice-voix. 
8.
« Je suis ici. Mais qui suis-je ? » 
Je
 préfère appeler le sentiment que vous évoquez l’avoir lieu plutôt que 
le je suis ici. En effet l’avoir lieu ne révèle ni le je ni l’ici. 
L’avoir lieu affirme plutôt la volonté de tenir en équilibre à 
l’intérieur du vide entre le prénom et le nom. (Ce que vous dites aussi à
 votre manière avec la formule « inconnue à mon adresse ») Ainsi ce qui a
 lieu, ce qui apparait comme lieu, ce qui apparait jusqu’à lieu c’est la
 chose de la chair, la chose inhumaine de la chair. L’avoir lieu n’est 
pas ce qui situe le je, ce qui assigne le je à la résidence de l’ici. 
L’avoir lieu apparait plutôt comme la volonté de projeter la chair à 
l’intérieur de la proximité immédiate du lointain en dehors de l’ici et 
de l’ailleurs. L’avoir lieu n’assigne pas l’apparaitre de la chair au 
site exclusif de l’ici. L’avoir lieu affirme la volonté de projeter la 
coïncidence de temps multiples d’existence à l’intérieur d’un seul lieu 
c’est à dire à l’intérieur du lieu de la solitude. 
A propos de cette distinction entre avoir lieu et être ici, j’avais déjà écrit ces phrases à Ivar Ch’Vavar. 
Cette certitude du lieu serait malgré tout à nuancer à la manière d’Antonio Porchia.      «
 Oui, je suis dans un seul lieu, mais issu de mille lieux, non d’un 
seul. Issu d’un seul, je ne suis nulle part. » Ainsi la chair apparait 
comme une composition de lieux, comme une mosaïque paradoxale de lieux. 
Malgré tout seul celui qui a lieu à l’intérieur d’un lieu unique a la 
sensation de cela. Seul celui qui a lieu à l’intérieur d’un lieu unique 
sait que sa chair apparait comme la composition d’une multitude de 
lieux. 
« D’où mes prières sauvages - à mes hétéronymes. »
Il me semble d’ailleurs que par ce désir de prière adressée à des hétéronymes, votre écriture  ressemble
 parfois à celle d’Ivar Ch’Vavar. Vous diffractez votre discours pour 
révéler la simplicité paradoxale d’un lieu, simplicité paradoxale du 
lieu comme exil de l’exil. (Il y a une tristesse d’exilée extrêmement 
visible à l’intérieur de votre regard ou plutôt une tristesse qui erre 
entre vos yeux et votre regard.)
« J’ai
 entendu quelqu’un prononçant en allemand Johann Sebastian Bach. 
Coïncidant douloureusement avec le même nom en roumain. » 
Sanda
 Voïca c’est à dire une coïncidence douloureuse. Sanda Voïca c’est à 
dire la coïncidence douloureuse avec la voix, avec la voix entre le jour
 d’hier et le jour d’aujourd’hui. Sanda Voïca c’est-à-dire la 
coïncidence douloureuse avec la voix du vide entre le jour d’hier et le 
jour d’aujourd’hui, c’est-à-dire la coïncidence douloureuse avec la voix
 inconnue à son adresse, avec la voix du vide inconnue à son adresse, 
avec la cicatrice de voix du vide, avec la cicatrice de voix du vide 
inconnue à son adresse entre le jour d’hier et le jour d’aujourd’hui. 
« Entre le jour d’hier et le jour d’aujourd’hui se faufile l’impossible. » 
 Entre
 le jour d’hier et le jour d’aujourd’hui se tient le sommeil. Entre le 
jour d’hier et le jour d’aujourd’hui survient la lucidité du sommeil, le
 tas de lucidité du sommeil. Entre le jour d’hier et le jour 
d’aujourd’hui surgit le miracle de lucidité du sommeil, l’extase de 
lucidité du sommeil.  
« Le
 risque d’être banale comme tout un chacun, qui innutritionne à tour de 
bras, même quand il dit bonjour, car c’est SA voix du jour ! »
Il
 y a en effet d’innombrables livres à l’intérieur de chaque bonjour. Il y
 a une bibliothèque à l’intérieur de chaque bonjour et parfois même 
aussi une bibliothèque qui brûle, la bibliothèque qui brûle de l’oubli, 
la bibliothèque qui brûle de l’insensé, de l’oubli insensé. 
« Et Berka Solo ? Elle est restée dans la journée d’hier. » 
Nous
 disposons en effet d’autant de noms que nous vivons de jours. Ainsi 
chaque jour nomme notre existence de manière différente. Et chaque 
existence humaine ressemble ainsi à un calendrier de saints ou d’anges 
pseudonymiques. 
Ainsi
 chaque jour pose un nom inconnu sur notre front comme une aura 
d’imprévisible. Chaque jour pose un nom inconnu sur notre front comme la
 rature d’une aura, comme l’improvisation d’une aura, la rature 
d’improvisation d’une aura, la rature de clarté d’une aura, la rature de
 clarté improvisée d’une aura. 
Nous
 disposons ainsi chaque jour d’un nom différent, d’un nom distinct, le 
nom de la distinction même, sans jamais savoir quel est ce nom, sans 
jamais savoir à quoi ressemble ce nom. C’est pourquoi nous adressons à 
chaque instant la ressemblance de ce nom à vide et comme pour rire, 
comme une sorte de blague, une sorte de blague bégayée. Les hétéronymes 
que vous proposez seraient des tentatives afin de révéler les noms 
distincts de chaque jour. Et quand bien même vous parvenez parfois à 
révéler le nom d’un jour, la ressemblance de ce nom reste elle à chaque 
fois inatteignable et indicible. 
« La journée d’hier ne veut pas passer, elle s’est allongée, depuis hier, jusque sur le sol de l’aujourd’hui. »
Et
 lorsque les journées ne passent pas, les noms de chaque jour se 
mélangent alors aussi sur notre front, les noms de chaque jour se nouent
 n’importe comment comme des cheveux au petit bonheur ou au grand 
malheur la chance au sommet de notre tête. Les noms de chaque jour se 
nouent à brûle-pourpoint, à tire-larigot, à brûle-pourpoint à 
tire-larigot au sommet du crâne et transforment le crâne en tête de 
méduse, en tête de méduse litanique, en tête de méduse lunatique, en 
tête de méduse litanique et lunatique. Lorsque les jours ne passent pas 
nous portons des morceaux de rêves et des morceaux de noms emmêlés à nos
 cheveux, mélangés au sommet de notre tête, des morceaux de rêves qui se
 prennent pour des noms et des morceaux de noms qui se prennent pour des
 yeux. Ces morceaux de rêves et de noms se mélangent en une sorte de 
soupe alphabétique, une sorte de soupe syllabique, la soupe alphabétique
 du soupçon, la soupe syllabique du soupçon stupide. Lorsque les jours 
ne passent pas, nous portons au sommet de notre tête un chapeau de 
serpents, le chapeau de serpents de nos rêves, de nos paroles et de nos 
noms à la fois inaccomplis et agglutinés, agglutinés à travers cet 
inaccomplissement même, collés agglutinés à travers leur stupeur, à 
travers la stupeur de leur inaccomplissement, à travers les plis de leur
 inaccomplissement, à travers les plis de stupeur de leur 
inaccomplissement. 
« Les jours de maïs concurrençaient les jours de blé : » 
Ces
 jours de maïs seraient peut-être aussi les jours de mais. « Maïs (…) 
totems du cauchemar aztèque. Le maïs est le soleil de la mort, de même 
que le blé représente le soleil de la vie. Par le blé, on communie sous 
les espèces de la vie. Par le maïs sous les espèces de la mort. »  D de Roux 
9.
« Et le suicide, (…) c’est un meurtre. Un crime - contre Dieu, » 
«
 Le suicide n’est pas seulement un péché, il est le péché. C’est le mal 
ultime, absolu, le refus de s’intéresser à l’existence ; le refus de 
prêter serment de fidélité à la vie. L’homme qui tue  un homme tue un autre homme. L’homme qui se tue lui-même, tue tous les hommes, il efface de lui le monde. »  G.K Chesterton (Orthodoxie) 
A
 propos du suicide, il me semble que vous avez dû lire l’œuvre de 
Blanchot avec passion. Je me suis toujours cependant méfié de 
l’utilisation de la mort en tant que figure rhétorique, en tant que 
figure rhétorique ineffable et définitive. Le mot mort est en effet très
 souvent le mot des plus grandes hypocrisies et des plus grandes 
trahisons (de même d’ailleurs que le mot vie). Pour le dire franchement 
je n’ai jamais eu le sentiment d’une valeur du suicide. J’y ai toujours 
vu une lâcheté plutôt qu’un courage, une lâcheté narcissique plutôt 
qu’un courage métaphysique. Disons que les suicidés désirent souvent 
faire croire qu’ils ressemblent à Empédocle se jetant à l’intérieur du 
volcan alors qu’ils ne sont le plus souvent que des bourgeois du malheur
 vexés dans leur vanité. J’apprécie cependant votre manière d’évoquer ce
 problème du suicide, vous préférez en effet toujours en parler de 
manière subreptice parmi le flux de voix papillonnantes de la phrase. Et
 le suicide devient ainsi le papillon d’une voix parmi d’autres. 
A
 propos de Blanchot, Cioran avait une fois remarqué dans ses Cahiers 
qu’il y avait dans sa pensée pourtant a priori méthodique et rigoureuse 
une sorte de faille invisible à travers laquelle son raisonnement 
finissait toujours par dérailler. En cela selon Cioran, Blanchot était 
profondément fou. Il me semble que comme souvent dans ses esquisses de 
portraits Cioran a alors dit l’essentiel (Je pense par exemple à ce que 
Cioran dit de Beckett, l’image même de l’homme noble). 
Il
 y a une indiscutable grandeur de Blanchot, je ne suis pas certain 
cependant que cette grandeur soit admirable. Il y a ainsi des grandeurs 
qui ne sont pas dignes d’admiration non pas parce qu’elles n’ont pas 
besoin de reconnaissance (ainsi que vous le dites très bien « Pourquoi  cette
 obstination à rendre hommage à la grandeur ? Elle se suffit à elle-même
 ou pas. ») mais parce que ce sont des grandeurs dangereuses, des 
grandeurs nocives, des grandeurs empoisonnées (Gombrowicz par exemple). 
Vous
 êtes d’ailleurs parfaitement consciente de la toxicité éventuelle de 
l’écriture. Et même (et sur ce point nous serons sans doute en 
désaccord) vous la revendiquez. « Mon écriture ici - ma contagion à 
moi. ». Ou encore, et ce n’est pas un hasard si c’est la dernière phrase
 de votre livre « Un poison à moi-même : j’ai besoin d’être toxique/ 
mortelle pour devenir immortelle. » Pour le dire autrement vous êtes 
parfaitement consciente de l’aspect satanique de l’écriture, même si 
vous préférez souvent utiliser le mot satané. Bizarre mot satané, il y 
aurait ainsi une sorte de diabolisme de la naissance, une sorte 
d’inconvénient diabolique de la naissance auquel seul le suicide serait 
apte à répondre. Satan c’est aussi la forme réflexive de l’attente. 
Satan est celui qui s’attend. Satan est celui qui s’attend comme messie 
minimum, comme messie infinitésimal.
10.
Il
 y a en vous une sorte de diderotienne démente, de diderotienne violée 
par la démence de son suicide rhétorique. Votre sorcellerie serait 
celle-là, utiliser le suicide comme outil rhétorique. 
« une cicatrice ouverte et fermée à la fois, fente de femme- ma propre fente- dans laquelle je me jette sans fin, » 
Se jeter par la fenêtre de son sexe telle serait peut-être la forme de votre suicide rhétorique.  L’ascèse
 de votre écriture affirmerait ainsi le geste de vous jeter à chaque 
phrase par la fenêtre de votre sexe autrement dit par la fente de 
naitre, la fente explétive de la naissance. Ce geste de se jeter par la 
fenêtre de son sexe, c’est le saut de l’ange du suicide. La 
défenestration révèle en effet un désir évident de devenir ange. « Mais 
un ange entrevu aussi dans une vitre cassée dans une cour intérieure- » 
(Et ce n’est pas non plus un hasard si Deleuze a décidé de se suicider 
ainsi. Ce suicide de Deleuze serait l’indice de l’aspect angélique de sa
 philosophie. La philosophie de Deleuze serait à la recherche d’un 
machinisme angélique, d’un désir machinique angélique.)
Ce
 désir de devenir un ange est aussi un désir de devenir un 
intermédiaire, un médiateur, un interprète entre soi et soi. Le 
philosophe M. Serres a écrit des trucs intéressants à propos des anges 
en tant qu’intermédiaires. Serres remarque aussi si je me souviens bien 
qu’il y a un aspect angélique des pronoms. Les pronoms seraient les 
anges intermédiaires entre les noms. 
Je
 suis malgré tout beaucoup trop matérialiste pour pouvoir m’intéresser 
aux anges. Et puis mon penchant paranoïaque a tendance à voir en chaque 
ange un démon. Je m’en méfie donc. Se méfier des anges serait ainsi la 
manière même d’exister du monstre. 
Votre
 liste de livres du Poème de l’Ignorance ressemble à la liste de livres 
de Tarkos dans Anachronisme. (« Le mou me molle. » Cela ressemble aussi 
un peu à du Tarkos.) Dans cette liste il y a d’ailleurs une coquille, 
Renée Char. Le prénom (de naissance redoublée) du poète Char est 
ainsi féminisé. A l’inverse vous dites à chaque fois le chat et vous 
utilisez toujours cependant un pronom féminin (elle) pour l’évoquer. Et 
ainsi à chaque fois que vous dites le chat au lieu de la chatte, un ange
 passe, ou plutôt un ange s’affale (et même s’a-phalle) « Et pendant ce 
temps, le chat, le museau s’enfonçant dans le canapé où elle est affalée
 des heures entières, y fait un trou qui n’est pas de vide, mais de 
lumière, d’aura- ». Kundera développe quelque part l’idée selon laquelle
 l’obscénité est toujours celle de la langue maternelle et que par 
conséquent les mots d’une langue apprise ne peuvent jamais apparaitre 
obscènes. Il me semble que votre réticence à utiliser le mot chatte en 
français contredit cette théorie.
« les morceaux épars restent toujours vivants. » 
Cela
 ressemble aussi énormément à du René Char. « Dans l’éclatement de 
l’univers que nous éprouvons, prodige ! les morceaux qui s’abattent sont
 vivants. » Vous parlez ainsi comme un Char qui part en couilles, une 
sorte de Char un brin concierge qui plutôt que de masquer le désir 
sexuel à travers l’emphase du discours préfèrerait détruire l’emphase du
 discours par l’excitation de la digression.
« Caricaturer- ça peut être une force quand on a mangé. »
Je
 trouve cette phrase troublante. Il serait ainsi préférable que la 
caricature soit accomplie par ceux qui sont riches et rassasiés plutôt 
que par ceux qui sont pauvres et affamés. Le problème   de 
la moquerie ne serait donc pas celui du maigre qui manque de nourriture 
mais plutôt de l’obèse qui en a trop. La caricature souveraine serait 
ainsi non celle de l’artiste de la faim de Kafka mais plutôt celle de 
Rabelais, de Flaubert ou de Chesterton. 
« Ma vie toute entière tartinée à la marmelade de prunes. Quel ange restaurais-je avec cela ? »   
Oui
 en effet, comment restaurer un ange? Comment rassasier la faim de celui
 qui ne mange pas (à moins que l’ange soit celui qui se mange lui-même, 
qui se mange lui-même comme si de rien n’était). A quoi ressemble la 
faim de celui qui ne mange pas, c’est un problème absurde à la Vialatte,
 problème semblable à celui de savoir comment par exemple les fleuristes
 parviendraient à vivre dans un univers où il n’y a pas de fleurs. Et 
puis aussi comment savoir si l’ange est la fleur ou le fleuriste, 
comment savoir si l’ange est la fleur ou celui qui porte la fleur, à 
moins que l’ange ne soit plutôt celui qui porte le vide, à moins que 
l’ange ne soit une sorte de zérophore et qu’il devient fleur par ce 
geste de porter le vide. Ainsi aussi comment nourrir une fleur, comment 
nourrir une fleur sans jamais savoir si c’est une fleur ? Comment 
nourrir une fleur sans savoir si c’est une fleur ou un zérophore ? 
« Spectaculaire discrétion – ma porcherie. » 
C’est
 une formule superbe, formule proche à la fois de Pasolini et de 
Chesterton (le titre du film de Pasolini et la remarque à propos de la 
caricature de Chesterton «
 La caricature est une chose sérieuse ; elle est sérieuse au point de 
toucher au blasphème. La caricature consiste à figurer un cochon de 
manière qu’il ressemble encore davantage à un cochon que celui que Dieu 
lui-même a créé. »
 (J‘aurais ainsi rapproché au moins une fois ces deux noms qui semblent 
pourtant si éloignés l’un de l’autre, même s’il y a un aspect presque 
blasphématoire, un blasphème adressé à l’oubli de Dieu, à les relier 
ainsi.) Et puis il y a aussi cette phrase de Char qui m’a toujours 
agacé « Obéissez à vos porcs qui existent, je me soumets à mes dieux qui
 n’existent pas. » La caricature accomplie par l’ange rassasié serait 
alors peut-être une façon de désirer révéler la spectaculaire discrétion
 d’un Dieu-porc autrement dit (pour modifier la remarque de Chesterton) 
l’image d’un Dieu plus ressemblant que Dieu lui-même ne le croit.
« En fasciste et consciente de l’être, je vais ranger ma limaille… »  
Le
 fascisme serait ainsi le désir de mettre en ordre le magnétisme du 
monde, le magnétisme aberrant du monde, le magnétisme aberrant des 
choses et des événements du monde. Le fascisme serait le désir 
d’ordonner en faisceaux intelligibles le magnétisme aléatoire et insensé
 du monde. (Y aurait-il un fascisme des anges ou encore un angélisme du 
fascisme ?)
11.
« Pour me montrer qu’il faut forcer non pas les portes, mais les fenêtres ? » 
Ou
 encore afin de savoir comment ouvrir les portes avec la fermeture des 
fenêtres et comment ouvrir les fenêtres avec la fermeture des portes. 
« Où commence et finit une vie, où commence et finit un style ? » 
Le style commence-t-il sur le rebord d’une fenêtre, sur le rebord de falaise d’une fenêtre ?  Est-ce
 que le style commence là où finit la vie et est-ce que la vie commence 
là où finit le style ? Ainsi comment parvenir à styliser sa vie ? C.
 Dotremont propose cette réponse « La vie est ma carte, que je lis pour 
avancer dans une région qui ne lui ressemble qu’extrêmement. » 
« Se ré-écrire en rampant. S’entendre en volant - au-dessus d’un nid de glace. »  
Réécrire
 c’est à dire ramper à l’intérieur de l’envol. Réécrire c’est-à-dire 
ramper à l’intérieur de la sidération de l’envol, à l’intérieur de la 
sidération d’évidence de l’envol. 
« Sceptique jusqu’à ses fosses temporales. »
Certain
 jusqu’au squelette. Certain jusqu’au sourire du squelette. Certain 
jusqu’au sourire anthracite du squelette. Certain jusqu’au sourire 
d’éclair du squelette, jusqu’au sourire d’éclair anthracite du 
squelette. 
« Je suis à l’étroit, dans le noir, dans mon entonnoir, comme dans le grand inconnu. »  
Rester
 à l’intérieur du noir. Rester à l’intérieur de l’entonnoir du noir. 
Rester à l’intérieur de la ribambelle de tonnerre du noir. Rester à 
l’intérieur de la ribambelle de tonnerre de l’entonnoir, de l’entonnoir 
noir. Rester à l’intérieur de la ribambelle de tonnerre de l’entonnoir 
comme à l’intérieur de la poupée russe du noir, comme à l’intérieur de 
la poupée de roulette russe du noir. 
« La connerie - une catastrophe naturelle, finalement. » 
Dans un texte intitulé Tu Sauf, j’ai écrit cette phrase. Ce qui sauve l’homme à l’intérieur d’une catastrophe naturelle, c’est d’apparaitre comme une catastrophe artificielle. Le
 problème évidemment c’est que devenir une catastrophe artificielle 
n’est pas toujours simple. Pour y parvenir nous avons en effet besoin de
 beaucoup de travail comme de beaucoup d’insouciance, c’est-à-dire de 
beaucoup de travail d’insouciance. 
« Les catastrophes n’arrivent-elles que pour interrompre l’ennui. » 
Oui
 en effet, les catastrophes surviennent afin de détruire l’ennui, pas 
n’importe quel ennui cependant, pas l’ennui niais de la névrose, ni même
 l’ennui emphatique du spleen, plutôt l’ennui aussi prodigieux 
qu’effroyable dont parle Pessoa. « L’ennui
 est bien la lassitude du monde, le malaise de se sentir vivre, la 
fatigue d’avoir déjà vécu ; l’ennui est bien, réellement, la sensation 
charnelle de la vacuité surabondante des choses. Mais plus que tout 
cela, l’ennui c’est aussi la lassitude d’autres mondes, qu’ils existent 
ou non ; le malaise de devoir vivre, même en étant un autre, même d’une 
autre manière, même dans un autre monde ; la fatigue, non pas seulement 
d’hier et d’aujourd’hui, mais encore de demain et de l’éternité même, si
 elle existe - ou du néant, si c’est lui l’éternité. »
« La diligente abeille n’a pas de temps pour la tristesse. » W. Blake
Celui
 qui travaille avec tranquillité détruit la tristesse. Celui qui 
travaille avec tranquillité et insouciance détruit le vice de la 
tristesse par l’exactitude du sommeil. Celui qui travaille avec 
tranquillité et insouciance détruit le vice de distraction de la 
tristesse par l’exaltation d’exactitude du sommeil. 
« Je travaille à la FIN DU MONDE. » B. Cendrars.
Je
 travaille à la fin du monde par l’oisiveté de son recommencement. Je 
travaille à la fin du monde par l’extase d’oisiveté de son 
recommencement.
12.
« Je
 ne connais que les écrits de mes mains, celles qui écrivent, le reste 
est silence. Silence du cerveau, silence de la peau, silence des 
orteils, silence des yeux. »  
Malgré
 tout ce que la main écrit ce sont aussi les formes du silence. Les 
mains saisissent au vol les formes du silence. Les mains saisissent à 
chaque instant au vol les formes du silence sans jamais prendre les 
formes du silence à la légère. Les mains saisissent à chaque instant au 
vol les formes de tragédie du silence, les formes d’insouciance du 
silence, les formes de tragédie insouciante du silence. 
« Ce matin, mes doigts sont beaucoup plus longs qu’hier et avant-hier. »  
Les
 doigts s’allongent. Les doigts s’allongent selon. Les doigts 
s’allongent selon les mâchoires de loup de chaque jour, selon les 
sourires de loup de chaque jour. Les doigts s’allongent à hue et à dia. 
Les doigts s’allongent à hue et à dialogue. Les doigts s’allongent à hue
 et à dialogue selon les yeux du jour, selon les yeux de loup du jour. 
« Ou
 du moins le carré blanc est Ouvert, libre, sur le côté même qui le lie à
 l’autre, noir. Les deux cotés voisins du même carré blanc sont du coup 
des ailes. » 
Ce
 carré aérien c’est aussi celui dont rêvait K. Malevitch. Les doigts 
s’allongent pour devenir des ailes. Les doigts s’allongent pour devenir 
les ailes du carré. Les doigts s’allongent pour devenir les ailes d’hier
 déjà du carré, les ailes de dandinement du carré, les ailes de dandysme
 du carré, les ailes de dandinement dandy du carré, les ailes de 
diligence du carré, les ailes de diligence dandy du carré, les ailes de 
diligence hier déjà du carré, les ailes de diligence dandy hier déjà du 
carré. Les doigts s’allongent pour devenir les ailes d’anges du carré, 
les ailes d’anges hier déjà du carré, la limaille d’ailes du carré, la 
limaille d’ailes hier déjà du carré, la limaille d’anges du carré, la 
limaille d’ailes d’anges du carré, la limaille d’ailes d’anges hier déjà
 du carré. 
« Echiquier où les pièces sont brûlantes (…) marcheur sur la braise du jeu. » 
Marcher
 sur les braises d’absurdité du jeu. Marcher sur les braises 
d’aberration du jeu. Marcher sur les braises d’amnésie du jeu, sur les 
braises d’amnésie absurde du jeu, sur les braises d’amnésie aberrante du
 jeu. Marcher sur les braises de voix du jeu. Marcher sur les braises de
 jeu du vent. Marcher sur les braises du silence, sur les braises de jeu
 du silence. Marcher sur les braises du sommeil, sur les braises de jeu 
du sommeil. 
« Ma recherche s’appuie sur l’agilité de mes doigts, (…) comme mes jambes sur la banquise. »
La
 digression marche sur la banquise du feu. La digression marche sur la 
banquise des braises. Les doigts de la digression marchent sur la 
banquise des braises. Les doigts qui s’allongent de la digression 
marchent sur la banquise de braises du silence, sur la banquise de 
braises de l’inconnu, sur la banquise de braises du silence inconnu, sur
 la banquise de braises du sommeil inconnu. 
13.
« Concentré-éparpillé ; concentré-éparpillé : la gymnastique du soir. »
Il me semble évident que la forme de votre écriture apparait provoquée par une acrobatie singulière
 entre l’attention et l’inattention, entre la concentration quasi sainte
 et la déconcentration triviale, disons entre la prière de la sainte et 
la distraction de la ménagère perdue parmi la trivialité de ses pensées.
 « C’est aujourd’hui le jour du ménage. Ne plus tarder : courses, 
aspirateur, poubelles. » Vous révélez ainsi une manière de prier qui est
 aussi une manière de faire le ménage. Ecrire c’est à la fois pour vous 
prier et sortir les poubelles. Ecrire c’est sortir les poubelles de la 
prière. « L’abolition du ménage est tout un art. »
« Je veux photographier Jésus aujourd’hui, il suffira de faire mon autoportrait photographique. »
Pour
 photographier Jésus, il suffit peut-être de faire son autoportrait 
photographique à l’instant de sortir les poubelles de la prière. Cette
 idée de photographier le Christ, d’accomplir une conjonction entre 
technologie et christianisme est une fois encore très proche de Cendrars
 (simultanément Kodak et Pâques à New York).
Y’aurait-il une épopée de la ménagère pop qui passe la serpillère à l’intérieur du chœur de  l’église ou plus bizarrement encore de la ménagère pop qui passe la serpillère au sommet du clocher ? 
« Je veux photographier Jésus : oh, vanité des vanités ! »
Il
 y aurait du reliquaire ou plutôt du suaire, un suaire bizarre dans 
votre poème, un suaire-serpillère, une sorte de suaire spinoziste et 
aussi de serpillère au camélia. 
« Le facile m’est difficile et le difficile n’existe pas. Entre les deux – je rate l’impossible. »
Photographier
 Jésus avec une serpillère, c’est facile. Photographier Jésus avec la 
serpillère du suicide, avec la serpillère du suicide perdu, c’est 
difficile. Photographier Jésus avec la serpillère d’un suicide perdu 
comme un parapluie, d’un suicide perdu comme un paradis, autrement dit 
comme la rencontre d’un parapluie et d’un paradis sur la table de 
dissection du suicide, c’est facile et difficile. 
14.
« Comment regarder ses propres rêves en face ? »
Et
 aussi comment regarder la plante des pieds de ses rêves ou le dos de 
ses rêves, comment regarder les alentours de ses rêves, comment regarder
 ce qui accompagne les rêves, ce qui partage le pain avec les rêves et 
qui pourtant n’est pas un rêve ? Et aussi comment toucher ses rêves, 
comment humer ses rêves, comment goûter ses rêves, comment goûter les 
alentours de ses rêves, comment goûter les alentours de ses rêves de 
dos ? Comment goûter le visage de ses rêves, l’évidence de ses rêves, le
 visage d’évidence de ses rêves ? Comment goûter le visage d’évidence de
 ses rêves avec les doigts de la digression, avec les doigts qui 
s’allongent de la digression, avec les doigts qui s’allongent hier déjà 
de la digression, avec les doigts qui s’allongent entre hier déjà et 
ainsi maintenant, entre hier ainsi et maintenant déjà de la digression. 
« Je cherche les ruines des rêves des deux derniers jours. »
Le
 problème reste de savoir où chercher les ruines des rêves. A 
l’intérieur du sommeil, à l’intérieur de la lucidité ou plutôt à 
l’intérieur du temps à la fois nommable et innommable entre
 le sommeil et l’éveil ? E. Canetti pensait à ce propos qu’il était 
préférable de garder les rêves intacts sans jamais les interpréter et 
d’affirmer ainsi les rêves comme des formes  intangibles 
plutôt que de concevoir les rêves en tant que réservoirs de signes. Je 
ne sais où se trouvent les ruines intactes des rêves. Ces ruines des 
rêves apparaissent-elles sous nos pieds ou au-dessus de nos têtes, sous 
nos pieds quand nous dormons ou au-dessus de nos têtes quand nous 
veillons, sous nos pieds quand nous veillons ou au-dessus de nos têtes 
quand nous dormons ? (Et
 le clinamen de la digression serait une manière de dire les gestes du 
rêve qui surviennent en même temps à l’intérieur de la veille et du 
sommeil.)
« Un nouveau droit de l’homme à inscrire dans la charte : délirer sans été puni. »
Je
 ne suis pas certain que le délire soit un droit et encore moins un 
droit de l’homme. J’ai plutôt le sentiment que le délire apparait comme 
un luxe, un luxe inhumain, un luxe paradoxal et inhumain, le luxe 
paradoxal et inhumain de la pauvreté même. La démence a la forme d’une 
dépense. Celui qui délire est toujours prodigue, c’est sans doute 
d’ailleurs ce qui distingue le délire et la folie. La folie est souvent 
mesquine et avaricieuse. La folie s’incarcère dans le flou, dans le flou
 de la raison, dans un flou de la raison avariée et avaricieuse. A 
l’inverse le délire affirme une dilapidation somptuaire. Extraordinaire 
puissance de délire somptuaire de Salvador Dali par exemple. 
« Si quelqu’un pouvait vraiment séparer l’intime du reste, Comme l’ivraie du bon blé – il serait (un) Dieu. »
Je
 dirais plutôt à l’inverse que si quelqu’un parvenait à dissocier 
l’intime et le social, il serait le seul à ne pas vivre à la façon d’un 
Dieu. J’ai en effet le sentiment que cette façon qu’a l’homme de laisser
 le social contaminer sans cesse son intimité change chaque homme en un 
Dieu quelconque, un Dieu insignifiant, le Dieu quelconque de 
l’auto-adoration quotidienne de l’humanité pour elle-même (dont parlait 
déjà Flaubert).
« Quelqu’un ne pouvait pas dormir sans s’entourer d’images de soi. »
Ce
 serait le stade ultime du narcissisme, celui d’un homme qui désire que 
son image surveille non seulement son éveil mais aussi son sommeil. La 
niaiserie ridicule du narcissisme est de ne croire qu’à sa propre image.
 Le narcisse croit en son image sans même avoir confiance en elle. En 
cela le narcisse est une sorte de religieux idiot de lui-même. Ce souci 
incessant de l’image de soi est le grand ridicule de notre époque (la 
mode du selfie par exemple). Désormais chacun se comporte comme s’il 
était le propriétaire exclusif de son image. L’image n’est plus celle du
 regard de l’autre, l’image est celle d’un regard exclusivement 
réflexif. 
15.
« Désirs, vous m’avez laissé à moitié mort sur une chaise. »  A. Cravan
Malgré
 tout qui sait ce serait peut-être la chaise même qui serait le très 
grand désir, le désir comme chance acharnée, chance acharnée 
essentielle, celle de rester ivre-morte là où elle se trouve, de rester 
accroupie debout, accroupie debout ivre-morte là où elle se trouve, 
chance acharnée essentielle de rester là quoi qu’il arrive, de rester là
 quels que soient les événements de l’histoire humaine. La chaise sait 
que l’histoire et plus encore que le sens de l’histoire n’est qu’un 
leurre. Et ce savoir révèle malgré tout aussi un désir incomparable. 
Celui qui écrit précisément se tient assis sur ce désir incomparable de 
la chaise. La chaise n’est pas alors contrairement à ce que prétend 
Rimbaud l’instrument d’un renoncement ou d’une sclérose, la chaise 
apparait plutôt comme une forme de tremplin paradoxal, le tremplin 
paradoxal des fesses, le tremplin paradoxal par lequel les fesses 
s’amusent à plonger à l’intérieur de l’inconnu. 
La
 chaise apparait aussi comme une arche, l’arche siamoise des fesses, 
l’arche qui sauvegarde le charme de l’équilibre. La chaise apparait 
comme un trapèze acrobate, un trapèze acrobate qui à la fois tient en 
équilibre au-dessus du vide et tient aussi le vide même en équilibre. La
 chaise apparait comme le trapèze acrobate et même le trapèze 
contorsionniste qui parvient à tenir le vide en équilibre à proximité de
 la présence du monde. 
Je
 ne suis d’ailleurs pas certain contrairement à ce que prétend la doxa 
de la modernité que le désir soit si important que cela. Le désir est en
 effet très souvent manipulable voire contrôlable. Le désir est souvent 
une puissance stéréotypée plutôt qu’une force d’invention. Ce que vous 
suggérez aussi avec cette phrase. « Tant qu’on a un sursaut de désir et 
on le suit- on arrive quelque part comme avec la foule. » Le désir ne 
révèle donc pas les formes particulières de notre existence, le désir 
révèle plutôt la foule en nous, ce qui en nous subsiste de commun aux 
autres. La société capitaliste l’atteste en tant qu’elle est une sorte 
de communisme du désir, de communisme technologique du désir. 
L’idéologie
 du libéralisme laisse croire que le désir est une puissance de 
libération, j’ai malgré tout le sentiment que ce n’est qu’un leurre. 
Pour le dire avec clarté la revendication du désir ne me semble pas très
 efficace pour combattre le capitalisme et cela simplement parce que la 
société capitaliste est essentiellement une société du désir. Le 
capitalisme contrôle le désir à travers sa libération signalétique, à 
travers sa libération en tant qu’échange incessant et infini de signes. 
Et c’est d’ailleurs pour cela que des œuvres comme celle de Sollers ou 
même celle de Deleuze se sont avérées être politiquement parlant des 
impasses. En effet le désir est peut-être libre ou du moins libérable, 
cependant le désir n’est pas révolutionnaire. Le désir c’est justement 
ce qui est libre à travers une société totalement contrôlée. 
Selon
 la pensée moderne, il y aurait une sorte de transcendance du désir, le 
désir sexuel transcenderait les autres formes de l’existence. Cette 
conception transcendante du désir, de même d’ailleurs que toutes les 
autres conceptions transcendantes, me semble aussi niaise que risible. 
« Bander - abolit tout ce que vous voulez : espace, temps, parents, 
prisons, névralgies, chaussettes sales, mauvaise haleine, la crise 
financière, la chute des empires, la fin des étoiles. » Soit,
 libre à vous de le penser. J’aurais cependant tendance à vous répondre à
 ce propos, mon œil (ainsi que vous le faites à propos de la phrase de 
Mona Ozouf). Mon œil ou plutôt mon cil, mon cil aveugle, la multiplicité
 de mes cils aveugles.
C’est
 pourquoi je préfère affirmer les formes du besoin (dormir, manger, 
demeurer) et les formes de la volonté plutôt que les signes du désir. Je
 dis signes du désir parce que je ne suis pas certain qu’il y ait des 
formes de désir. Il y a une expression que les adeptes de Lacan 
emploient sans cesse de façon radoteuse « Ne pas céder sur son désir. » 
Il me semble révélateur qu’ils ne disent jamais simplement affirmer son 
désir. En employant cette expression, ils enferment le désir à travers 
une double négation obligatoire, désir obligatoirement dialectique donc,
 désir alors condamné à ne jamais survenir comme une forme immédiate. 
J’ai
 ainsi le sentiment que le désir sexuel n’abolit pas quoi ce soit. Le 
désir sexuel n’abolit ni le temps, ni l’espace, ni la volonté de dormir,
 ni la volonté de manger, ni la volonté de demeurer. Evidemment le désir
 sexuel modifie, transforme, transmute, nuance, diffracte, ourle, 
entrelace que sais-je ces différentes volontés, cependant il ne les 
abolit pas. Le désir compose plutôt avec les autres formes de 
l’existence. Le désir apparait ainsi comme les formes du besoin 
c’est-à-dire que chaque chair désire comme elle dort, chaque chair 
désire comme elle mange, chaque chair désire comme elle demeure et cela 
selon des postures de comparaisons distinctes et diverses. 
Croire
 que le désir sexuel abolit le reste de l’existence n’est qu’une 
dénégation. Il me semble que si l’époque prémoderne a été celle du 
refoulement du sexe, l’époque moderne serait celle du refoulement à 
travers le sexe, du refoulement à travers la revendication du sexe. 
L’époque moderne serait celle où la libération du sexe dénie (autrement 
dit prétend abolir) la simple présence du monde. 
16.
Bizarre
 peintre que Matta. Ces tableaux ressemblent souvent à des forêts de 
coups de machettes. C’est comme si comme si pour Matta chaque geste du 
pinceau était à la fois une manière de couper un arbre et une manière de
 planter un couteau, comme si Matta était à la recherche d’une 
végétation tranchante, à la recherche de couteaux végétaux, et aussi qui
 sait à la recherche d’un « carré végétal » pour reprendre une formule 
de A. Ginsberg.  
Il
 serait intéressant de classer les peintres selon une typologie animale.
 Klee, peintre mésange. Miro, peintre papillon. Géricault peintre 
cheval. Pollock, peintre ours. Manet, peintre chat, Picasso peintre 
aigle (rapacité de Picasso, scopie perspicace d’aigle-hibou). Kandinsky,
 peintre calamar, peintre calamar-fakir. 
«
 Un merle femelle, qui avec violence et acharnement, voulait, hier, se 
nicher, s’installer, entre plusieurs branches au haut de notre 
tulipier. » 
Il
 y a en effet parfois une extrême violence des oiseaux afin de 
construire leur nid. Combat du bec pour construire le nid exquis, combat
 qui semble incohérent du bec pour construire le nœud exquis du nid. 
Pendant
 que j’écris ces notes en marge de votre livre, j’écris aussi un 
portrait de Marcello Mastroianni. (Le merle comme Mastroianni est un 
maestro de la ritournelle.) Un portrait de Mastroianni donc en même 
temps que Epopopoèmémés, je ne sais pourquoi. La digression serait une 
manière de devenir l’architecte du en même temps je ne sais pourquoi. De
 Matta à Mastroianni quel bond, seul Yves Klein serait apte à 
l’accomplir, le saut de l’ange du en même temps, le saut de l’autre 
espace en même temps, ou le saut du temps à autre, le saut du temps à 
autre espace. 
Je me souviens dans le film Sans Soleil de Chris Marker de l’escalier aux marches à la fois musicales et multicolores.
17.
« Alléluia, il manque l’harmonica. »
Ce matin j’aiguise mon ouïe, pour arriver à des milliers de cils auditifs. Alléluia, il manque l’harmonica.
Mes papillons sont les voix et les images qui volent avec moi. Alléluia, il manque l’harmonica.
Evidentiation- le barbarisme du jour : évidentier. Alléluia, il manque l’harmonica. 
Marteler pour fixer le chant boiteux. Alléluia, il manque l’harmonica.
Les dés comme les mots n’abolissent pas l’attente. Alléluia, il manque l’harmonica.
Je suis ici mais qui suis-je ? Alléluia, il manque l’harmonica.
Mon nom est une fiction. Alléluia, il manque l’harmonica.
Et Berka Solo, elle est restée dans le jour d’hier. Alléluia, il manque l’harmonica.
Beaucoup de choses ont manqué à ma bouche : les mots maternels et les mots adoptés. Alléluia, il manque l’harmonica.
Comme moi, tel ce gel résistant, je n’adhère pas à l’émail électronique. Alléluia, il manque l’harmonica.
Une voix lactée inédite, la voûte céleste ce matin dans ma bouche. Alléluia, il manque l’harmonica.
Dans une grande ville, pleine de gens comme une bouche pleine de dents. Alléluia, il manque l’harmonica.
Les
 sons sortent de la bouche, parmi ses dents comme des enfants en 
vacances, sortant parmi les lattes en bois espacées ou cassées d’une 
haie. Alléluia, il manque l’harmonica.
Mais ce matin, sceptique jusqu’aux fosses temporales. Alléluia, il manque l’harmonica.
Femme peccamineuse, homme impeccable. Ou l’inverse. Alléluia, il manque l’harmonica.
Ne pas dormir, autrement qu’en une veille retournée Alléluia, il manque l’harmonica.
Mais comme aujourd’hui, une cicatrice ouverte et fermée à la fois. Alléluia, il manque l’harmonica.
Je suis venu photographier Jésus : oh, vanité des vanités. Alléluia, il manque l’harmonica.
Je fais toujours ma poire, ah oui, ça oui, hohoho. Alléluia, il manque l’harmonica.
Forger sa mort. En forgeant, le forgeron fait son son : à bonne flamme, bon son ! Proverbe du jour, ad hoc. Alléluia, il manque l’harmonica.
Menée par la lumière – comme Cavaillès, Spinoza ou Leibniz et comme le camélia. Alléluia, il manque l’harmonica.
Il y a un essentiel même de l’inessentiel. Alléluia, il manque l’harmonica. 
L’idée qu’une mémoire totale est aussi anesthésiante qu’un manque total de mémoire. Alléluia, il manque l’harmonica.
Mémoire, silence de la mémoire aussi. Alléluia, il manque l’harmonica.
Se molletiner aux choses. Alléluia, il manque l’harmonica.
Ma mollesse est vive et ma vitesse molle. Alléluia, il manque l’harmonica.
Je suis à l’étroit dans le noir, dans mon entonnoir, dans le grand inconnu. Alléluia, il manque l’harmonica.
Je vais ranger la limaille qui résiste, elle est déjà collée. Alléluia, il manque l’harmonica.
Ni peur, ni malheur, ni souci, juste l’inquiétude d’être. Ici. Alléluia, il manque l’harmonica.
Je voi-cise. Lire voie-cise ! Alléluia, il manque l’harmonica.
Sourire ! Alléluia, il manque l’harmonica.
Mais ce matin, sourire ! Alléluia, il manque l’harmonica.
Mais ce matin, l’exclamation du sourire ! Alléluia, il manque l’harmonica.
Mais ce matin, le maïs de la lumière, les mâchoires de maïs de la lumière. Alléluia, il manque l’harmonica.
Mais
 ce matin, le maïs de la lumière, les mâchoires de maïs de la lumière, 
l’exclamation du sourire, l’exclamation de suicide du sourire. Alléluia,
 il manque l’harmonica.
Alléluia, il manque l’harmonica. L’abolition du ménage est tout un art. 
Alléluia, il manque l’harmonica. Et le reste est silence. Et le reste est silence, silence des amis-agneaux.